
Fumigène revient !

A l’occasion des 10 ans du concept « Fumigène : littérature de rue », le célèbre magazine qui redonne des couleurs à l’engagement s’apprête à revenir sous la forme d’une revue. Dans quelques jours, seront publiées 220 pages des meilleurs entretiens réalisés par la rédaction ces 10 dernières années (Aimé Césaire, Jamel Debouzze, Spike Lee, Keny Arkana, Joey Starr, Tony Gatlif, etc.), accompagnées d’une série inédite : « Quartier (en) général ». Cette série capte les 10 villes de banlieues qui ont fait l’actualité ces 10 dernières années, de Villiers-le-bel à Clichy-sous-bois, en passant par Vitry-sur-Seine. Un article en exclusivité ci-dessous.
« Fumigène, X ans » : 15 euros, pré-commande par mail : raphal@fumigene.net
VAULX EN VELIN : IL ETAIT UNE FOIS LE PLAN ESPOIR BANLIEUES
Par Nadir Dendoune.
Il n’est pas tout à fait midi. Salah attend Place Guy Moquet sous une chaleur estivale. Il porte des lunettes de soleil teintées. Comme il n’est pas très bien garé, il préfère ne pas s’éloigner de son Opel grise. Il attend que sa femme, partie il y a maintenant dix minutes acheter des fruits et des légumes au marché, revienne. « Ces dernières années, ils ont énormément démoli, et tous les jours je vois se reconstruire de nouveaux logements. Le centre ville a été refait, il est magnifique ». La réhabilitation du Mas-du-Taureau ? « C’est vrai que ça tarde encore un peu, mais j’ai confiance, ils vont le faire », tente de positiver ce retraité de 63 ans, petit homme frêle, cheveux court taillé en brosse, arrivé d’Algérie en 1961.
Salah habite depuis trente ans ce quartier de Vaulx-en-Velin, devenu « célèbre » malgré lui, après les émeutes urbaines de 1990. Une collision mortelle entre un jeune circulant à moto et une voiture de police avait plongé pendant plusieurs jours le Mas-du-Taureau dans un chaos total. « Vaulx est une ville qui s’est construite ‘’grâce’’ à cet événement tragique. La Municipalité a reçu beaucoup d’argent, sauf que les premiers concernés, c’est à dire les habitants du Mas-du-Taureau, n’en ont pas vu la couleur, accuse Mourad Agoun, conseiller municipal d’opposition qui habite la ville depuis trente ans. On a créé un super beau centre ville mais le Mas est toujours dans un piteux état ». Bernard Genin, le nouveau maire de Vaulx-en-Velin, nous reçoit dans son bureau situé dans le fameux nouveau ‘’centre-ville’’ où les voiries ont été refaites et où les immeubles sont à taille humaine. L’endroit, entouré de verdure, abrite une multitude de petits commerces. Un square a été construit et les gamins, sous l’œil attentif des parents, profitent des aires de jeux. « Rendez-vous compte, avant, il n’y avait rien ici, souligne fièrement l’édile. Il a fallu tout construire. Je vous rappelle également qu’entre 1990 et 1999, les gens, dès qu’ils le pouvaient, quittaient la ville. En 10 ans, nous avions perdu 5000 habitants. Depuis, nous avons inversé la courbe et l’image de Vaux à l’intérieur comme à l’extérieur à changé : on revient vivre ici » ! Vaulx-en-Velin fait partie intégrante du « Grand Lyon » (Communauté Urbaine de Lyon créée en 1969). Comme c’est le cas dans d’autres capitales régionales, seule une minorité a encore les moyens de se loger dans les centres villes, les petites couronnes deviennent de fait de plus en plus prisées. Yves Mena, qui milite dans le milieu associatif lyonnais depuis trente ans, dénonce le discours du maire qu’il juge comme étant « une belle hypocrisie ». « En démolissant, ils se débarrassent de ceux qui ne veulent pas : les constructions sont nouvelles, donc plus chères et en partie en accession à la propriété, donc le relogement n’est pas accessible à tout le monde et ceux qui n’ont pas les moyens de payer sont obligés d’aller vivre ailleurs. La Municipalité cherche à faire de Vaux une ville cossue ». C’est ce que dit également Mourad Agoun, qui raconte qu’il a été obligé de revenir vivre au Mas-du-Taureau. « Je payais 800 euros de loyer dans mon nouvel appartement et comme je n’avais pas le droit à l’APL, je n’arrivais pas à joindre les deux bouts ». Soit le double de ce qu’il payait, avant qu’il ne déménage. Face à de tels propos, Abdel Belmokadem, Maire-adjoint délégué au développement économique, répond : « L’urbanisme comme il est mené aujourd’hui, va dans le bons sens : il y a vingt ans, on avait des quartiers pourris. La politique des grands ensembles dans les années 70 a entrainé une ghettoïsation des populations. Désormais, grâce à ces nouveaux immeubles de plus petite taille, les gens sont moins les uns sur les autres ». Si chacun semble camper sur ses positions, tous s’accordent pour dire que même la meilleure des politiques de réhabilitation ne sera jamais suffisante pour régler le problème des quartiers populaires. Bernard Genin : « On fait ce qu’on peut à notre niveau mais nous sommes conscients que l’ensemble reste fragile, on n’est pas à l’abri de nouvelles émeutes. On colmate les brèches, ça serait pire si on restait les bras ballants. Il faudrait un Plan Marshall pour sauver les banlieues mais comme il n’y a pas de réelle volonté politique au niveau de l’Etat, on en est loin. Et ce n’est pas avec le énième Plan Banlieues qu’à présenté ici même l’année dernière Fadela Amara que les choses vont enfin changer». « La gestion des quartiers relève d’une approche néocoloniale, les habitants ont été au mieux, considérés par les Maires comme des indigènes en transit, comme des personnes qu’il fallait ‘’occuper’’, mais on ne les a jamais impliqué dans le développement de la ville, peste Yves Mena. Continuons à être sourd et aveugle et les mêmes causes produiront les mêmes effets ». Abdel Belmokadem, lui, admet que « de beaux logements sans une réelle égalité des chances », ne fait que retarder les choses. « C’est plus facile de construire des bâtiments que de travailler sur les vrais problématiques sociales. Par exemple comment les jeunes accèdent à une meilleure éducation ? Comment faire en sorte que la culture soit accessible à tous ? Ou comment lutte-t-on contre les discriminations ? s’emporte Mourad Agoun. On pourrait commencer par faire en sorte que nos enfants aient accès aux mêmes écoles que les gamins qui vivent dans les beaux quartiers. Mais, c’est beau de rêver », finit-il par soupirer.