Zouina Meddour, un chêne aux Tilleuls

Le 18-03-2013
Par Erwan Ruty

« Personne ne pleure ! Y'en a marre ! On veut juste raconter quelque chose que personne ne veut raconter ! » Une prise de parole forte, des mots qui claquent, un calme toujours de mise, mais une colère contenue. C'était à Toulouse, lors d'un débat, dans lequel Zouina Meddour intervenait en avril 2012. Pour rendre compte de ses 1001 combats. 

 
Des combats que l'on pourrait résumer en un vieux concept qui fait rigoler les jeunes qui ne savent pas : éducation populaire. Ils ne savent pas, car avec elle, ça marche.
Zouina a grandi, vécu, et toujours milité aux Tilleuls, quartier du Blanc-Mesnil (93). Elle est devenue une des voix qui comptent dans cette ville. Et bien au-delà ; mais reste humblement « sur le terrain », à où l'on agit beaucoup et l'on parle peu. Hervé Bramy, ancien président du Conseil général de Seine-Saint-Denis l'a un temps pris sous son aile, non pour la contrôler, mais pour la protéger de ceux qu'elle empêchait de tourner en rond. Aujourd'hui, elle publie un essai intitulé « Femmes des quartiers populaires », préfacé par le maire de la ville,Didier Mignot. 
 
 
Ex-Robin des bois ne court plus dans les bois, ex-Robin des bois travaille pour le roi, chantait naguère un vieux groupe de rock.... Serait-ce le cas de Zouina, une fidèle du MIB, le Mouvement de l'immigration et des banlieues, rebelle parmi les rebelles des combats associatifs depuis plus de vingt ans ? Pas sûr : elle a un petit bureau au premier étage d'un petit pavillon qui regarde la mairie de côté, voire de travers. C'est là qu'on a décidé de lui attribuer le poste de chargé de mission « Lutte contre les discriminations ». Une réserve d'indiens turbulents ? Suffisamment près du patron de la ville pour qu'il garde un oeil sur elle, mais quand même pas trop près pour qu'elle ne l'enquiquine pas avec ses revendications permanentes ? Ca serait la sous-estimer. Car elle a sans cesse turbulé : « Mon engagement a commencé à 18 ans, au pied des immeubles, aux Tilleuls, on ammenait des jeux de société aux jeunes. Déjà, la mairie de l'époque nous accusait de nuire à son travail ! Elle avait refusé de domicilier notre association au Centre social ! » 
 
Voilà comment naissent les carrières de rebelles. Un frangin à l'Union nationale des jeunes algériens. Un compagnon qui deviendra son mari et avec lequel elle « bascule », selon ses mots, dans l'engagement au moment de la Marche pour l'égalité, en 1983. Elle a 18 ans. Elle atterrit quand même au Service municipal jeunesse, the place to be dans une mairie communiste, quand on veut faire parti du paysage politique et qu'on n'a pas encore l'âge d'être élue avec l'adoubement du parti. Elle aura bien entendu été syndiquée, représentante du personnel, bref, le grand chelem des compétences requises pour être élue. Mais non, c'est pas son truc : « Le mandat politique ne m'a jamais attirée. Beaucoup de représentation, de visibilité, mais finalement, pas beaucoup de pouvoir. Comment tu fais, quand tu es élu au Logement, et qu'il manque 2000 logements dans ta ville !? Je ne parle pas, j'agis. C'est là qu'on voit les résultats, sur le terrain. J'arme les gens pour qu'ils s'engagent. J'ai découvert ça grâce au MIB. C'est eux qui m'ont appris la manière de faire avec les gens. » 
 
 
Et puis, elle le reconnaît : « On est le fruit d'une histoire où on est entrés dans les partis, et où on a vu qu'on n'avait pas de rapport de force en notre faveur dedans. Mais on ne doit pas les laisser tranquilles. On peut s'allier à eux, mais on ne doit rien lâcher. » Rageuse ? Passionaria ? Pas du tout. Au contraire. La force tranquille de ceux qui n'ont rien à perdre, et qui sont sûrs de leur force. Une seule question qui vaille : « Comment on fait pour que que les habitants investissent les lieux de pouvoir ? C'est ça, l'éducation populaire. Au début, on a peur de contester. De prendre une place. Mais il n'y a pas d'espace réservé pour qui que ce soit. Tout le boulot, c'est de déconstruire, ne pas s'enfermer soi-même. » Pour le coup, elle ne se serra pas enfermée, en tout cas pas dans l'action sociale : elle a aura occupé bien des fonctions, passé bien des étapes, mais rarement seule. Toujours en emmenant d'autres gens avec elle. 
 
 
Comme ce groupe de femmes, rencontré à l'occasion d'anodins ateliers cuisine qu'elle avait monté au centre social des Tilleuls, à son arrivée en 2002. « Elles étaient à la maison, à s'occuper des gamins. Beaucoup ne savaient pas écrire. Elles voulaient cet atelier. Mais on s'est retrouvées débordées dans temps qu'on consacrait aux discussions après l'atelier. On a travaillé sur des groupes de parole. Elles ont fini par dire que la cuisine était un prétexte, et que le plus important était un espace pour se retrouver. Maintenant, il n'y a plus d'atelier cuisine. Mais un atelier théâtre. » Entre temps, il y a eu des projets et encore des projets. Et des émeutes, en 2005. « On est restées devant le centre qui avait brûlé, dans la rue, la nuit parfois, avec des centaines de personnes qui sont passées. » Une expo photo est née*. Puis un film*. Puis un journal, Vu d'ici. XX numéros, accompagné par des pros du Monde diplomatique. « Il fallait raconter en live ce qu'il s'est passé au moment des révoltes, prendre la parole, ne pas laisser les médias raconter n'importe quoi. » 
 
 
Au milieu de ce maelström est née une pièce de théâtre*, puis une autre, s'appuyant sur la Double absence, ouvrage fondateur de la réflexion sur l'immigration, du sociologue Abdelmalek Sayad, compagnon de route de Bourdieu. Des semaines d'écriture, de formation. « Quelques unes d'entre nous » est né. Une troupe, un collectif. Au final une pièce avec 25 personnes, rémunérées, presque toutes des femmes, sans expérience initiale du métier. Elle le racontait, à Toulouse, en avril, encore : « Il y en a marre que les habitants des quartiers prioritaires ne soient que dans des dispositifs sociaux. On a le droit au droit commun. La politique de la ville, c'est trois francs six sous qu'on rajoute en plus, c'est le seul financement qui existe pour ces quartiers, et le reste disparaît petit à petit. » Un énorme succès, des salles combles. Une tournée. Et là, patatra ! Elles se prennent le fameux plafond de verre, du côté de la culture. « On nous a dit : C'est trop identitaire, il faut que les femmes sortent de leur condition, arrêter d'être dans la plainte, qu'on puisse leur permettre d'accéder à autre chose. On veut bien vous aider, après ce spectacle, mais sur un texte d'un auteur contemporain ! Mais c'est ça qui plaît aux gens ! On fait ça parce que ça a du sens pour nous ! La culture, c'est donc défini seulement par ceux d'en haut qui décident pour nous ? »
 
Cet écheveau à peine entrevu de projets avec divers groupes de femmes et de jeunes, parias parmi les parias, à qui elle a permis d'occuper une place pour agir, à travers des vidéos, des débats, des occupations de centre social, des publications, des formations, des pièces de théâtre et des voyages et des tournées,  cette effervescence filerait le tournis au plus chevronné des militants professionnels... Elle aurait pu elle-même perdre la tête dans la confusion de toutes ces batailles. Se brûler les ailes. Mélanger les genres. Se tromper de combat, passer du coq à l'âne. Mais non. Elle est restée là, solide. Au Blanc-Mesnil, toujours. Impassible, forçant le respect, fidèle à sa ville, aux siens. Avec un vrai ancrage. Bien enracinée, comme un chêne, au milieu des Tilleuls.
 
 
 
 

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