Victoire ! Fleur Pellerin rétablit un fonds d’aide aux médias de proximité

Fleur Pellerin au ministère de la Culture et de la communication, rencontre du 14 avril 2015. Photo : ministère de la Culture
Le 16-04-2015
Par Erwan Ruty

Une trentaine de médias de proximité, de quartier et de la diversité, dont une quinzaine sollicités par Presse & Cité, a participé mardi 14 avril à une rencontre avec Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Objet : la création d’un fonds doté de un million d’euros pour lutter contre le populisme numérique. Bonnes nouvelles : le montant, son périmètre… et bientôt son institutionnalisation ?

 

Un fonds en forme d’appel à projets qui en ressuscite donc un précédent, créé en 2010 par Frédéric Mitterrand, avec le concours de Fadela Amara, puis renouvelé en 2011… avant d’être supprimé par la gauche à son arrivée au pouvoir en 2012. Pour que cet appel à projet soit rétabli, il aura fallu le travail patient de plusieurs réseaux de médias de proximité et des quartiers, parmi lesquels figure en bonne place Presse & Cité.



L’action de Jérôme Bouvier…

Il aura aussi et surtout fallu beaucoup de persévérance au maître d’œuvre de l’ensemble de ces appels à projets, quel que soit le gouvernement, Jérôme Bouvier, dorénavant en charge des « métiers de la presse et de l'information, de l'éducation aux médias et de la diversité » auprès de la ministre de la Culture. L’ancien médiateur de radio France (et, avec Journalisme et citoyenneté, l’animateur des Assises internationales du journalisme) n’a pas chômé, puisque ce fonds a été créé à peine deux mois après sa nomination… avec qui plus est la volonté affirmée par l’administration de « construire ensemble quelque chose de dédié ».
Mais hélas, ne nous le cachons pas non plus, il aura aussi fallu l’action… des frères Kouachi et de Amédy Coulibaly, qui ont créé un tel émoi dans la société que tous ceux qui étaient susceptibles de mener une action pour contrer leur « œuvre » sont revenus au bon souvenir des autorités françaises.



Plus de régions et plus de sous : tout le territoire, 1 million d’euros

Ceci étant dit, au-delà de la bonne nouvelle que constitue sa réactivation, cet appel à projets élargit et approfondit l’action du précédent. En cela, il constitue une montée en puissance notable, puisque le précédent fonds n’était que de 280 000 euros (+300 000 euros dédiés à l’Epra, réseau de 180 radios dissout en 2012) et distribué par seulement 11 Directions régionales des affaires culturelles. Le nouveau projet, lui, couvre tout le territoire, et se monte à un million d’euros.



Une mesure contre le « populisme numérique »

Autre élément de satisfaction est le message de fond que développe la ministre : « Là où se fabrique la presse du XXIème siècle, c’est chez vous ! » Et, dans un communiqué de presse du ministère de la Culture : « En cette période où les messages de haine se répandent sur la toile c’est aussi, j’en suis convaincue, une façon de lutter efficacement, grâce aux meilleurs outils de la démocratie, contre le populisme numérique. » Populisme numérique ? C’est bien un concept inventé et porté par Presse & Cité depuis bientôt deux ans (notamment dans une tribune parue dans Mediapart), qui évoque la montée en puissance des réseaux sociaux et de l’Internet non régulé, de l’extrémisme de droite, du radicalisme religieux, de l’antisémitisme ou de l’islamophobie, du racisme sous toutes ses formes, autant que des complotismes divers et variés qui sont en train d’acquérir une certaine hégémonie sur ces nouveaux médias…



Vers des partenariats avec la presse locale et de service public ?

Quant au fonds lui-même, selon le communiqué de presse, « il doit permettre de soutenir toutes les initiatives éditoriales ou numériques qui pourront rapprocher ces médias des nouvelles attentes de leurs publics ; de favoriser la production d’une information de qualité ; de faire participer les habitants à la production de leurs programmes ; de favoriser les coopérations entre les médias associatifs et le médias locaux traditionnels, France Bleu, France 3 ou la presse écrite régionale. Cet appel à projets doit enfin permettre au plus large public de se familiariser avec la pratique journalistique et participer ainsi à l’éducation à l’information et à la liberté d’expression ». La ministre parlera aussi de « trouver des partenariats innovants entre la PQR, le PQN et [nous] ». Remarquons ainsi en particulier la mention faite de la PQR et des médias publics locaux, qui sont invités à devenir les partenaires réguliers des initiatives issues de nos quartiers. En effet (et même si tous les médias de proximité ne sont pas sur cette option), il paraît indispensable à Presse & Cité que nos médias puissent compter sur de tels partenariats. A la fois dans un souci de professionnalisation, de reconnaissance et de développement économique ; bref, de sortie du « ghetto médiatique » dans lequel sont confinés certains d’entre nous.



Le modèle du Fser, un vrai « grand frère » médiatique

Enfin, selon le communiqué du ministère, toujours, « Fleur Pellerin a dit sa volonté de mettre en place un dispositif de soutien pérenne en prenant modèle sur le Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER) qui permet depuis plus de trente ans à près de 650 radios associatives ». Mais pour être tout à fait dans le droit fil du Fser, il faudrait une loi. Ce fonds (doté de près de 29 millions d’euros en 2014), est en effet garanti depuis une loi du 30 septembre 1986 (obtenue après de longs combats menés par les radios libres). Cela sera demandé ouvertement par plusieurs intervenants dont Nora Hamadi, du magazine Fumigène (et par ailleurs journaliste à LCP), ainsi que par Presse & Cité. Ce point, sans doute le plus important, sera la conclusion de la rencontre. Et noté par la ministre et son administration comme un point cardinal à envisager prochainement.



Accès aux campagnes de communication publiques

Plusieurs autres éléments restent cependant en suspend : la possibilité pour nos médias de postuler aux appels d’offres institutionnels. Mohammed Collin, de Saphir News, le fait remarquer lors de la rencontre : « Quand l’Inpes a lancé une campagne de sensibilisation sur le Sida auprès des populations les plus touchées, plutôt que de faire appel à nos médias, il a créé une brochure spécifique pour communiquer ! » Absurde, mais révélateur de la méconnaissance des médias de quartier et de proximité de la part de la société française…



Média de proximité, un statut encore à définir

Autre réflexion à mener : la définition d’un statut de « média de proximité » (voire « média de quartier ») ; qui serait la première pierre à une identification possible de notre travail ; à l’instar de la définition du statut de média remplissant une mission de « communication sociale de proximité », critère de base assurant l’éligibilité au Fser. Quelque chose d’indispensable donc pour une reconnaissance institutionnelle plus formelle, plus durable, et susceptible de permettre un subventionnement pérenne par le « droit commun ». Se poseront suite à cela les questions d’un accès plus facile aux fonds existants : « Fonds Google », exceptionnel et dont la reconduction est sujette à caution (et au sujet duquel la ministre assurera : « les services Over the top (1) doivent être sollicitées pour que la presse bénéficie de recettes qui en viennent ») ; mais aussi Fonds d’aide aux « services de presse en ligne » (Spel), drastique et excluant pour nos médias. Sans parler de la question de la défiscalisation, dans le droit fil de « l’amendement Charb », permettant à des mécènes et donateurs de bénéficier d’une remise fiscale, qui pourrait être étendue à la presse dite de proximité, et pas seulement à la presse dite « IPG » (Information politique et générale) –réflexion à étendre aux aides qui dépendent de l’obtention de l’agrément CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse)…



Un accès au droit commun, victoire provisoire ?

Cependant, cet appel est exceptionnel, cela a été clairement affirmé par le ministère. Gardons-nous bien de crier définitivement victoire. Tout pourrait à nouveau disparaître après les prochaines présidentielles, quel qu’en soit le vainqueur. L’enjeu a été très clairement énoncé à plusieurs reprises lors de la rencontre : le meilleur garant de la pérennisation de cette aide, c’est de la faire sortir de son exceptionnalité. Exceptionnalité qui est l’une des caractéristiques des politiques publiques dédiées aux banlieues. L’évolution est cependant notable pour nos médias, puisque cette aide (provisoire) est proposée par le ministère de la Culture, et non pas celui de la Ville : on est donc bien dans ce fameux « droit commun » tant réclamé par les acteurs des quartiers.



A ce titre, la réforme en cours des aides à la presse devra être regardée de près : « l’idée est que la presse de divertissement soit un peu moins aidée qu’elle ne l’est actuellement ». Sur ce point, s'il est vrai que le système actuel est structurellement détourné de manière abusive, il faudra néanmoins faire attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : cela a été rappelé récemment par Rachid Santaki lors de la rencontre "Médias de quartiers après Charlie", organisée le 23 février par Presse & Cité à Saint-Ouen : « Les plus jeunes, qui sont les plus vulnérables, même des diplômés, des bac +3, 4 ou 5, qui sont dans la théorie du complot, qui sont en marge de notre société… comment nous, médias, on peut les rattacher, les impliquer, les rendre acteurs de notre société (…) ? Des magazines de divertissement, comme Roots [ou 5styles, Fumigène etc, Ndlr], peuvent être le premier point d’accroche de ces jeunes. Il faut savoir qu’aujourd’hui, ces jeunes vont sur Internet, ils regardent des vidéos, n’ont pas de discernement, ils vont lire Quenelle + et je ne sais quoi, et pour eux, première lecture, c’est acquis, y’ a pas de critique, on ne se pose pas de question sur les sources… »

Les médias des quartiers et de proximité rentrent un peu plus dans le « game ». Mais attention à ne pas d’endormir sur ces fragiles lauriers. Rien n’est jamais définitivement acquis, et les sommes allouées resteront modiques. Premier bilan et suite des discussions cet automne…



(1) service de diffusion sur Internet de contenus audio, vidéo ou autres, sans la participation d'un opérateur de réseau dans le contrôle ou la distribution du contenu.

L'appel à projets "Médias de proximité" : voir ici

 

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