
Une élue qui vaut des millions

50 millions d’euros, le chiffre a fait les grands titres des médias mi-décembre. Derrière ce fond d’investissement obtenu auprès de l’Emir du Qatar pour les entrepreneurs des quartiers populaires, se cachent plusieurs instigateurs, dont Wahiba Zedouti, élue municipale à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
Membre de l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld) depuis 2008, Wahiba et 9 de ses camarades (de tout bord politique) se sont envolés en novembre dernier pour Doha au Qatar, afin de proposer au Premier ministre qatari des pistes concrètes pour favoriser l’emploi dans les quartiers populaires. « Avant de partir, nous nous étions réunis à plusieurs reprises notamment avec des entrepreneurs à Aubervilliers. Deux grandes idées ont émergé, proposer à l’émir de créer soit un fond d’investissement franco-qatari pour les entreprises à potentiel dans nos banlieues, des projets porteurs qui créent de l’emploi, soit inciter les entreprises françaises qui signent des contrats juteux là-bas, à recruter ici en priorité dans nos quartiers », raconte cette mère de deux enfants. L’idée est née cet été, avec le rachat du PSG, le club de foot parisien et les pourparlers autour des droits de retransmission de la Ligue 1 et de la Ligue des Champions. « On s’est dit que puisque le Qatar investissait tant en France, cela pourrait être intéressant de les solliciter pour faciliter l’emploi des jeunes de banlieues qui sont discriminés pour leur origine ou leur adresse », explique l’énergique Wahiba.
« On ne veut pas vider la banlieue de ses richesses mais la développer »
Sur place, l’entretien se déroule plutôt bien. « Le premier ministre a été très réceptif à nos propositions. Dans la journée, nous avons reçu un appel pour un fixer un rendez-vous le lendemain avec l’émir Hamad Ben Khalifa Al Thani. Il nous a reçus plus de 3h, il était très à l’écoute. Les choses sont ensuite allées très vite. Nous avons été les premiers surpris. ». En effet quelques jours après le retour en France de la « délégation », l’ambassadeur du Qatar à Paris leur apprend que l’émir a décidé de débloquer 50 millions d’euros. « Attention », prévient l’élue de 35 ans qui en paraît 10 de moins, « cet argent devra aller à des projets viables et qui rapportent. Il ne s’agit pas de philanthropie mais de business ! C’est du donnant-donnant. Une réunion doit se tenir dans les prochains jours pour donner plus d’éléments concrets. Des chargés de mission seront chargés de recevoir les entrepreneurs et d'évaluer la pertinence de leurs projets», explique-t-elle en businesswoman. Normal, cadre à la Banque de France, et diplômée en économie-gestion, la jeune femme d’origine marocaine est habituée à jongler avec les chiffres. « Aucun élu ne va désigner, choisir les projets. Nous serons uniquement des relais d’infos. Depuis l’annonce, nous sommes beaucoup sollicités. »
De Levallois à Saint-Ouen
Un défi de plus relevé pour Wahiba. Rien ne la prédestinait à cet engagement en faveur des quartiers populaires. Elle a grandi à Levallois-Perret dans une fratrie de 5 frères et sœurs : « je suis celle du milieu », précise-t-elle. La famille vit plutôt bien, « mon père travaillait dans le secteur automobile de luxe, ma mère était mère au foyer, on ne manquait de rien. » Après une scolarité qu’elle qualifie de « classique », elle intègre la Banque de France, se marie et déménage à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis en 2007. C’est le choc. « Tant que j’étais à Levallois-Perret, je n’avais pas d’engagement politique, je n’en avais pas besoin, tout roulait, la politique de la ville était plutôt bien faite. Mais à Saint-Ouen, j’ai découvert un autre monde. Moi qui avais une image très positive de cette ville limitrophe de Paris, j’ai déchanté. Il ya gouffre entre ces deux mondes juste séparés par le périph ! » 2008 est synonyme d’engagement, elle se présente sans étiquette sur la liste citoyenne « Vivre et s’épanouir à Saint-Ouen » aux élections municipales, elle est élue conseillère municipale de l’opposition. Parallèlement, elle monte avec son mari « Relais numérique », une association pour réduire la fracture numérique : « nous récupérons des ordinateurs que nous remettons en état. Nous avons pu équiper certaines associations et même certaines écoles car il y avait un réel besoin. » Elle croise en 2008, Kamel Hamza, élu la Courneuve et fondateur de l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld). Son discours la séduit, elle rejoint l’équipe. La suite vous la connaissez, elle sera parmi les 10 membres qui s’envoleront en novembre 2011 pour le Qatar. En 2010, Wahiba rejoint « République solidaire », le mouvement lancé par Dominique de Villepin, ancien premier ministre de Jacques Chirac et devient dans la foulée, responsable de la fédération de la Seine-Saint-Denis. Plus que jamais l’adage populaire « ne vous fiez pas aux apparences » se vérifie, ce petit brin de femme cache une vraie détermination. Maman, élue, cadre bancaire, elle jongle avec aisance entre ses différents rôles et toujours avec le sourire. En 2012, c’est promis, elle jettera toutes se forces dans la bataille pour faire élire son champion, Dominique de Villepin.
Nadia Hathroubi-Safsaf