Tribudom : une autre façon de filmer les cités

Le 15-04-2013
Par Charly Célinain

Tourner des films au cœur des cités, avec des habitants des cités. Avant, le succès cinématographique de « La cité rose », le collectif Tribudom faisait déjà ce travail de proximité avec les habitants des quartiers. Le collectif pousse l'expérience encore plus loin avec la web série « Demain j'lui dis... »

 
Depuis onze ans, le collectif Tribudom travaille avec les habitants de l'Est parisien sur la réalisation de courts, moyens et longs-métrages. Les habitants du 18ème, 19ème, 20ème mais aussi de Saint-Denis, Montreuil, Tremblay, ont pu croiser l'équipe de Tribudom lors de projections, expositions photo ou installations vidéos que le collectif organise régulièrement. Depuis septembre 2012, Tribudom s'est donné pour objectif de faire une Web série (Demain j'lui dis...) avec les habitants du quartier de Flandres (19ème). « La spécificité du projet est de se concentrer sur le quartier de Flandre. Nous nous sommes dit que c'était un quartier à échelle humaine, que nous pouvions embrasser ce territoire » confie Mona Abdelhadi, une des chargées de projet. Selon cette dernière, en onze ans, c'est la première fois que Tribudom travaille avec « une dimension internet », avec cette idée de « retranscrire toute la richesse des échanges que nous avons sur le terrain, pour la transformer en réseau social de quartier ». Un vrai challenge.
 

Un site web dédié

La web série « Demain j'lui dis... » a pour thème les histoires d'amour, un sujet à tiroir qui permet d'aborder plusieurs aspects comme le racisme, l'homosexualité... Pour alimenter le site dédié à cette web série, le collectif se tourne directement vers les habitants « Nous essayons de provoquer des moments de rencontre, lors d'un vide grenier ou d'une fête de quartier. Nous interpellons les habitants sur cette thématique de « demain je lui dis » et tout est mis en ligne. Nous avons également un espace dédié aux internautes qui peuvent eux aussi mettre leur propre contenu : texte, photo, son » explique Mona Abdelhadi. Les témoignages sont également relatés dans des chroniques radio, ou encore, par le biais de POM (Petites œuvres multimédia), « nous sommes à la frontière entre les genres ».
 
Ils n'ont pas l'habitude qu'on les responsabilise

Créer des fictions avec les habitants

Pour le collectif, faire participer les habitants au processus est crucial : « Les gens du quartier sont impliqués à toutes les étapes : choix des sujets, comment le traiter, écriture... Après, tout dépend de l'âge mais, en règle générale, ils prennent conscience de toutes les étapes de création d'un film ». Selon Mona Abdelhadi, la rencontre des habitants, notamment les jeunes, avec les professionnels de l'image « c'est d'un coup sortir du rapport habituel aux adultes. Ils n'ont pas l'habitude qu'on les responsabilise ». Ca permet également aux jeunes de découvrir des métiers : « Ingénieur du son, perchman, ils voient tout le matériel et, quand nous pouvons, nous leur mettons une perche entre les mains ». Mieux connaître le milieu du cinéma, ses métiers, donner une vision juste du septième art : « Nous ne cultivons pas le côté Cannes, nous cultivons l'image de ce métier sous son côté artisanal » indique Mona Abdelhadi.
 

Silence...ça tourne

L'équipe de tournage s'installe au milieu des tours, face au centre d'animation curial. Tandis que le technicien règle l'image de la caméra, deux jeunes à scooter, sans casques, passent deux, trois fois dans le champs avant de s'arrêter : « Hop, hop, hop, faut pas filmer ici ! » d'un ton mi-ferme mi-amusé. 16H45 : c'est la sortie des classes, et, magie du cinéma, l'équipe va tourner une séquence où une grand-mère d'origine chinoise emmène sa petite-fille à l'école. Le réalisateur Sasha Wolff fait une relecture des dialogues avec Marie, qui jouera le rôle de la grand-mère. Marie vit depuis douze ans dans ce quartier, depuis trente ans France, c'est sa première expérience devant la caméra et c'est le quatrième jour de tournage : « ça donne pas envie de faire du cinéma, c'est dur mais Sasha avait besoin de quelqu'un donc... ». Le réalisateur a eu le temps de nouer des liens avec les habitants : « Nous avons écrit le film avec des étudiants en français qui prennent des cours de français, de FLE ou ASL [Français langue étrangère ou Ateliers de savoir socio-linguistique, ndlr]. J'ai fait un atelier d'écriture avec eux pendant 4 mois à peu près, nous avons proposé différentes pistes et comme il y avait beaucoup de gens de la communauté chinoise qui étaient là, on a décidé de travailler sur cette communauté-là ».
 

« J'vais tourner moi ! »

Tout est prêt, l'équipe attend le personnage principal, qui arrive toute souriante et pleine d'énergie avec son cartable rose. Après avoir changé de vêtements, la jeune fille se met en place, le tournage peut commencer. Non, pas tout à fait, un membre de l'équipe du film alpague trois enfants avec leur cartable sur le dos pour faire de la figuration. L'un d'eux en voyant ses amis passer de l'autre côté de la rue leur crie avec fierté : « J'vais tourner moi ! ». « Action ! » dit le réalisateur. Les trois petits, d'une démarche peu naturelle, passent devant la caméra et l'un d'eux fixe l'objectif. « Coupé ! ». Ils retournent à leur place pour un deuxième essai. Parfait. Ils ont vite appris. Quelques prises et voilà,  un film de plus dans la boîte. 
 
Il faut faire tomber ce truc de bénéficiaires du projet (...) nous pratiquons les choses ensemble
 
Mona Abdelhadi espère que les films pourront commencer à être montés fin juin et faire un « temps forts » dès la rentrée prochaine avec des projections et des actions de terrain, entre autres. Par l'action de Tribudom, elle espère aussi faire changer les mentalités et les regards portés sur la jeunesse des quartiers : « Il faut faire tomber ce truc de bénéficiaires du projet, un peu comme quand on est bénéficiaire d'une allocation. Non, ce n'est pas ça ! Nous pratiquons les choses ensemble »
 
 
 

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