
« Transnationale, la jeunesse est à même de nous faire dialoguer avec le monde. »

François Durpaire est historien. Ses travaux de recherche portent sur la question de la gestion de la diversité en France et aux Etats-Unis.
Quel effet le 11 septembre a-t-il produit sur la mondialisation ?
Après la fin de l'URSS et la chute du mur de Berlin, l'idée d'une fin définitive de l'histoire a émergé aux USA : il n’y avait plus du tout d'ennemis. Pour beaucoup d'Américains, le 11 septembre a été une révélation : ils avaient en fait encore des ennemis et il existait toujours des dangers avec cette seule différence qu'ils ne se manifestaient plus en termes d'Etats mais de cultures. Cette idée a été notamment portée par Samuel Huntington avec son livre à succès « Choc des civilisations », une tentative de comprendre encore le monde en tout noir et tout blanc. Depuis la mort récente de Ben Laden, les choses changent encore. On revient à une vision complexifiée du monde.
Qu’est-ce qui a changé dans le rapport que les Etats-Unis entretiennent avec le monde, depuis ?
L'antiaméricanisme est le produit de l'illusion d'une puissance démesurée des Etats Unis. Obama l'a bien compris et il connaît aussi les effets néfastes de cette représentation. Il a donc fait porter ses efforts sur une volonté forte de rompre avec la notion de choc des civilisations, en tendant la main au monde arabe. Après la révolution, il y a eu des micro-trottoirs au Caire. S'ils disaient être opposés à l'intervention en Libye, les Egyptiens utilisaient le terme d'intervention occidentale et non américaine.
Il y a eu par le passé une émergence de modèles de mondialisation positifs comme la créolité. Qu'a-t-on aujourd'hui à en apprendre ?
La créolité est très intéressante. Edouard Glissant [l'un de ses penseurs ndlr] juge que ce qui permet à des intellectuels des caraïbes de voir les évolutions du monde, c'est qu'ils sont issus de pays incartographiables. Quand on est tout petit, on voit le monde changer de manière beaucoup plus évidente. Cela permet de définir de nouveaux modes de fonctionnement qui ne sont basés ni sur une opposition entre dominants et dominés, ni sur l'idée d'un monde avec une périphérie et un centre.
Dans les quartiers populaires français, le 11 septembre a-t-il changé la perception qu'avaient les jeunes des Etats-Unis ?
Aujourd'hui beaucoup des jeunes de quartiers ont les mêmes préjugés sur les Etats Unis que l'ensemble de la société française, mais ils savent distinguer l'Etat américain de sa société. Ils ont même souvent très envie d'y aller. Il y a cette idée d'un pays qui juge ses citoyens à leur mérite et d'une société plus ouverte en matière de diversité notamment.
Ces jeunes sont-ils en train de former une nouvelle génération de la globalité ?
Oui bien sûr! Quand on a une tante à Washington et un cousin à Londres on est forcément un sujet de cette globalité. Aujourd'hui en France beaucoup de familles d'origine étrangère, qu'elles soient maliennes, haïtiennes ou algériennes, sont transnationales. La globalisation ne touche pas uniquement les flux financiers, elle touche aussi les populations ! C'est ce qui fait que la France pourrait s'appuyer plus sur sa jeunesse. Parce qu'elle est transnationale, elle est plus à même de nous faire dialoguer avec le monde.
Propos recueillis par Renée Greusard / Ressources Urbaines
Article paru dans le « New York Times du 93 », réalisé par Ressources Urbaines pour l’association Citoyenneté Jeunesse dans le cadre de l’événement « D’un 11 septembre à l’autre ».