
There is no alternative !

C’est dans les débris du mandat finissant de François Hollande que le parti frontiste arrache une nouvelle fois sa présence au second tour des présidentielles. La campagne qui a porté à ses points de rupture les équilibres politiques nés de la Vème République, si elle témoigne de leur effondrement, souligne aussi l’aveuglement des élites politiques.
Alors que les taux d’abstention fragilisaient les élans réformateurs, l’extrême droite, par sa progression constante lors des scrutins locaux et nationaux, imposait au monde politique sa chape de plomb sur de nombreux sujets.L’ère des défiances avait portant été annoncée dès 2002. Les appareils en apesanteur, trop englués à jouer leur survie, n’ont pas voulu voir les significations de mouvements comme « Nuit Debout », « Stop le contrôle au Faciès » ou« Pas sans Nous ». Un monde politique aveugleaux remises en cause des autorités réclamant d’autres formes de démocratie, plus directe, plus en prise avec les aspirations de citoyens pour qui le vote n’est pas la manifestation première d’un engagement ou d’une conviction. Un monde politique qui n’a pas su comprendre que les vieux canaux de la démocratie (partis, associations, syndicats, médias) étaient désormais dépasséspar les pensées minoritaires ou les mouvements diffus, naguère silencieux, aujourd’hui dopés par la caisse de résonnance constitué par le web et les réseaux sociaux.
Campagne confuse, résultat : léthargie
François Hollande n’aura pas été le Président des actes irrémédiables modernisant la vie politique française. Ni celui des combats en faveur de la lutte contre les discriminations, de la fraternité, d’un récit légitimateur ou d’une vision nouvelle de la Francefermant la parenthèse identitaire. Autant de thèmes qui au-delà des périphériques constituent la matrice des revendications et des engagements.Ses silences courtois et son impardonnable projet de déchéance de la nationalité, n’ont fait que prolonger le malaise promu sous le mandat précédent, lui-même aiguillonné par le séisme d’avril 2002. La réédition par la fille Le Pen de cette sinistre performance, confère au Front National une forme de stabilité là où les partis traditionnels périclitent. Et pourtant la campagne de 2017 n’a pas été celle du délire identitaire imposé en 2012 par Nicolas Sarkozy. Point d’embardées sémantiques ni de punchlines racistes. Une campagne technique et froide sur l’Euro, la relance de l’économie et le budget de l’Etat que les saillies du candidat LR n’auront pas fait dévier. Une campagne chiffrée mobilisant davantage les économistes et experts que les artistes et forces vives de la société civile. Autant de ressources qui font cruellement défaut dans cet entre-deux tours frappé d’une léthargie etesquissant le risque de se réveiller un 8 mai dans un pays définitivement défiguré.
Gauche pitoyable, choix incontournable
Face au Front national, un ancien ministre, ancien banquier, ancien haut fonctionnaire se revendiquantni de droite, ni de gauche, mais parvenu à faire de sa candidature une improbable synthèse entre le dépassement des contradictions du libéralisme, la mondialisation (forcément heureuse, optimiste, numérique) et la promotion de l’individualisme par la responsabilité sociale et l’entreprenariat. Emmanuel Macron a réussi à faire converger des aspirations contradictoires, de Robert Hue à Alain Madelin, là où la gauche a échoué pitoyablement à rassembler des projets pourtant si proches, si complémentaires. L’écologie, la lutte contre les discriminations et la protection des plus fragiles sont d’emblée les grands perdants de ces élections. Et pourtant entre une France qui élirait le dauphin désinhibé de François Hollande et une France lepénisée, il n’y pas d’alternative possible et aucune prise de risque jouant la tentation du vote blanc ou de l’abstention qui ne soit acceptable. La morne passivité de l’entre-deux toursconfirmant la banalisation d’un parti aux racines et au projet puissamment nauséabonds, appelle au sursaut.
Une France aux mains du Fn serait impitoyable pour les quartiers populaires
L’insurrection tant souhaitéene sera que de papier. Editoriaux, tribunes, reportages, appels à voter en faveur du candidat d’En Marche… Les médias grand public face à une campagne inhabituelle et déjouant les scénarios, auront eu le plus grand mal à dissimuler une tonalité anxieuse favorable au candidat Emmanuel Macron. Et c’est à l’unisson de cette presse tant décriée ici, que Presse&Cité s’accorde aujourd’hui. Cette publication qui a tant couru, après les mouvements sociaux nés en banlieue et qui s’inscrit dans une filiation avec des luttes et des engagements souvent invisibles, parfois spectaculaires, ne sauraient se limiter à une simple analyse détachée. Comme si le Front National et sa galaxie ne signifiaient rien et que leur triomphe, finalement, ne changerait rien aux difficultés des quartiers populaires.
C’est au moment même où nous refusons cette résignation / banalisation que nous inauguronsle MédiaLab93, un tiers lieu dédié aux médias, aux créatifs culturels et à ceux qui font la ville de demain. Un lieu d’ouverture et de partage, de débats en prise avec les habitants des quartiers populaires. Un lieu créant de nouvelles relations entre ses résidents, ses partenaires et ses publics. Un lieu qui naît sur la crise de la représentation mais qui espère,à son échelle, participer à sa refondation. Pas de hasard, que des nécessités : on ne peut à ouvrir un tel lieu s’ouvre tout en se disant que Le Pen et Macron, c’est la même chose. On doit choisir, on doit voter. Pour nous tous, le Fn serait plus ravageur que tout.
Farid Mebarki, président de Presse & Cité, Moïse Gomis, secrétaire général de Presse & Cité ; Erwan Ruty, directeur du Médialab93