
Taf et yassa, les cantines des foyers se réinventent - Afriscope

Maffé, thieb et yassa mijotent depuis toujours dans les marmites des cuisines collectives des foyers de travailleurs migrants. Des centaines de cuisinières y travaillent chaque jour pour assurer des repas à des prix imbattables. Aujourd'hui, la plupart de ces cantines sont menacées de fermeture. Mais grâce à la volonté et à l'entrepreneuriat de résidents et d'associations, certaines d'entre elles se réinventent en chantiers d'insertion.
En ces temps où la précarité s’enracine, les cantines des foyers de travailleurs migrants accueillent de plus en plus de gens de l'extérieur, des personnes aux revenus modestes, pour qui manger pour deux euros est une aubaine quasi inespérée. En dépit d’une utilité sociale manifeste, ces cantines sont menacées pour la plupart de fermeture administrative. Il est vrai qu'elles ne répondent pas aux normes d’hygiène et de sécurité régissant la restauration collective.
En outre, la politique de réhabilitation actuellement en cours prévoie le plus souvent de remplacer ces espaces de restauration collective par des cuisines individuelles. « Le nouveau standard des résidences sociales que deviennent les foyers, ce sont des chambrettes de 9 à 12 m², dans lesquelles les résidents sont sensés pouvoir vivre, manger, se laver et dormir », dénonce Geneviève Petautot, du Comité pour l’avenir des foyers (copaf) qui soutient les comités de résidents.
Fragile équilibre financier
La disparition programmée de ces cantines compromet le fragile équilibre financier dans lequel vivent les résidents de ces foyers. « Ces cantines nous permettent d'économiser suffisamment pour venir en aide à nos familles restées au pays » confie Koulibaly Boubou, membre du Comité des résidents du foyer Felix Faure à Aubervilliers. Impossible donc de se résigner à voir la cuisine fermer.
L'an dernier, les résidents de Felix Faure se mobilisent et créent l’Association Solidarité, Culture et Développement (ASCD) qui recrute Karim Saïghi, un professionnel issu de la restauration commerciale, afin de bâtir un projet fiable d’exploitation. Après quelques mois d’interruption, l’activité reprend en août 2009, en salariant une jeune équipe en insertion professionnelle, qui sert entre 300 et 350 repas quotidiens. Cette équipe développe parallèlement une activité traiteur qui complète son expérience. Transition difficile? « Passer d’une cuisine informelle à une exploitation légalisée bouscule beaucoup d’habitudes, tant dans la gestion du personnel que dans l’organisation du travail, confirme Karim Saïghi. Mais le plus grand défi, c’est de maintenir des prix abordables pour tous, tout en respectant de nouvelles exigences qualitatives et réglementaires.»
Taf et Maffé
Cette expérience à Aubervilliers s'est inspirée de la dynamique initiée depuis 2003 par l'association Taf et Maffé. Avec le soutien décisif des communes de Saint-Denis et d’Aubervilliers, cette structure pilote deux cuisines légalisées d’insertion. Implantées dans des sites fraîchement réhabilités, ces nouveaux espaces de restauration se différencient radicalement, par leur luminosité et leur ouverture sur le quartier, des cuisines de fortune des anciens foyers. « L’agrément de chantier d’insertion est indispensable à l’équilibre financier de ce type de projets », précise Benjamin Masure, président de l’association. « Cela nous permet d’encadrer deux équipes d’une vingtaine de salariés en contrat d’insertion, que nous accompagnons individuellement dans un processus de formation et d’acquisition de nouvelles compétences. »
Des situations d'exclusion inacceptables
Certes le prix des plats dans ces cuisines légalisées a augmenté de 50 centimes pour atteindre 2€50. Mais les conditions de travail et d’exploitation n’ont plus rien à voir avec les situations antérieures. Charlottes et tenues professionnelles sont désormais de rigueur. Tout comme la maîtrise des procédures et des normes d’hygiène qui, tout en sécurisant le travail des équipes, offre une bien meilleure qualité de service aux usagers.
En revanche, il est fort regrettable que bien peu d’anciennes cuisinières aient pu bénéficier de plans de reconversion professionnelle ni, pour certaines, de régularisation de leur situation administrative. « Certaines de mes anciennes collègues d’infortune vivent des situations d’exclusion et d’isolement inacceptables », s’alarme Madame Oummou Sy, présidente de l’Association de réinsertion des cuisinières africaines en France (Arcaf). « Nous avons besoin de soutien pour finaliser notre projet de reprise d’une cuisine de foyer», poursuit-elle. Avis aux organismes intermédiaires d’appui aux porteurs de projet! Leur aide est indispensable pour que ces femmes surmontent et maîtrisent des mécaniques administratives souvent dissuasives et accèdent enfin à des conditions de travail dignes.
Par Jean-Pierre Monnot - Afriscope
Association Taf et Maffé
• Résidence sociale Bachir Souni - 2, place Jean Poulmarch 93200 Saint-Denis (tafetmaffe@hotmail.fr ) - De 11h30 à 18h30 en service continu.
• Résidence sociale Opale - 54, rue des fillettes 93300 Aubervilliers (tafetmaffe.auber@free.fr ) - De 11h45 à 19h00 en service continu.
ASCD - Association Solidarité Culture et Développement ( asso.ascd@yahoo.fr )
• Foyer Félix Faure - 204, boulevard Felix Faure 93300 Aubervilliers - De 11h à 20h30 en service continu.
ARCAF – Association de réinsertion des cuisinières africaines en France (www.arcaf.org/)
6, rue Edouard Renard – 94130 Nogent sur Marne