Solidarité Nord-Sud en banlieue

Le 12-06-2012
Par xadmin

Depuis le succès phénoménal de la collecte de denrées alimentaires pour la corne de l’Afrique frappée par la famine à l’été 2011, Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) affiche bon nombre de projets solidaires très ambitieux. Retour sur cette nouvelle forme d’engagement.

Mercredi 9 mai. Gymnase Yves Queyrel, Villiers-sur-Marne. Près de 300 collégiens naviguent du stand d’Emmaüs à celui de Visa 94, en passant par les tentes d’arts de rue. Pour la première fois, le Centre social et l'Espace jeunesse de Villiers-sur-Marne ont organisé un forum dédié aux jeunes autour du thème de l’engagement dans la ville. Un stand attire une attention particulière : celui de France Afrik Terre 2 Kultur. Les bijoux ethniques n’y sont sans doute pas pour rien. Mais c’est pour le président fondateur de l’ONG, Amadou Kébé, connu dans le quartier pour ses différentes actions humanitaires, que les jeunes sont amassés. Sa dernière opération en date, la collecte de denrées alimentaire pour la corne de l’Afrique de l’été passé, lui a valu une importante médiatisation. Pourtant, la star n’est pas là. Pas encore. Employé dans une société de désinsectisation, Amadou doit jongler entre ses activités professionnelles et associatives. Un double temps-plein.

C’est parti d’un texto. Et d’une page Facebook.

Depuis la création de son association, Afrik Terre 2 Kulture, en 2006, le trentenaire multiplie les actions, les projets, les ambitions. « Quand je dors, mon cerveau travaille en fait, et c’est là que les idées me viennent ». Dont le projet « Banlieue solidaire » mené en août 2011. « Quand j’ai vu à la télé ces images d’enfants mourant de faim dans les bras de leur mère,  je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. J’ai une association, on va monter une collecte de denrées alimentaire, explique Amadou Kébé. Tout est parti d’un texto que j’ai envoyé fin juillet à l’ensemble de mon répertoire qui l’a fait suivre. » L’un d’entre eux aura la bonne idée de créer un page Facebook, de quoi diffuser l’appel à un plus large public.

Dix tonnes récoltées en dix jours

Au départ, ce sont les habitants de son quartier, les Hautes-Noues, qui ont répondu à son appel et déposé des vivres. Puis ceux des quartiers avoisinants et des ­villes voisines. Et ainsi de suite jusqu’à dépasser l’Île-de-France et atteindre la Belgique.  « Je n’ai pas demandé d’argent mais des vivres. Avec le bouche à oreille, ça a été très vite, les gens sont venus d’eux-mêmes. Je ne m’attendais pas à ce que le mouvement prenne une telle ampleur, s’étonne encore Amadou. En moins de dix jours on avait déjà récolté dix tonnes de denrées. » L’association finira par en collecter 125 tonnes. Dépassé par cet élan de générosité, Amadou Kébé et ses acolytes devront apprendre, dans l’urgence, à gérer une telle action, avec l’organisation qu’elle nécessite, les questions de stockage et d’acheminent des denrées à régler.

Des millions de personnes nous ont apporté leur soutien

Une centaine de jeunes a participé à cette action. « Mais au-delà des bénévoles, c’est des milliers de personnes qui nous ont apporté leur soutien à travers toute la France. Des jeunes de 16 à 40 ans, de toutes catégories socioprofessionnelles, toutes ethnies, toutes religions. Ce qui prouve que, contrairement à des idées répandues dans les médias, qui qualifient les jeunes de banlieue de communautaires, là on était tous réunis derrière le même objectif. »

Des gestes simples pour une œuvre de charité

Tous touchés par la famine qui frappe, une nouvelle fois la Somalie. L’Afrique, un continent dont nombre d’habitants des quartiers populaires français sont issus. Une des raisons qui explique l’importance de la mobilisation, mais pas seulement. La collecte est tombée pendant le Ramadan, un mois sacré pour les musulmans, pendant lequel, en plus de jeûner, ils doivent multiplier les œuvres de charité et d’entraide. Mais au-delà de cela, ce qui a séduit les jeunes qui se sont mobilisés sur cette action, c’est l’idée de se rendre utile. Par des gestes simples, apporter un sac de farine, empaqueter ou stocker des packs de lait, pour sauver des vies humaines. D’où l’ampleur du phénomène.

On a démontré notre capacité à pouvoir nous réunir autour d’une cause et à gérer toute l’organisation d’une telle opération

A tel point que les médias, les représentants des collectivités locales, et jusqu’au Ministère des affaires étrangères, surpris par l’ampleur de ce mouvement de solidarité, iront à leur rencontre. « Ils sont venus nous voir parce qu’ils étaient étonnés par notre mobilisation et notre organisation. On a démontré notre capacité à pouvoir nous réunir autour d’une cause, à gérer toute l’organisation, la collecte des denrées, le stockage… » L’association n’a bénéficié d’aucun soutien extérieur, si ce n’est la mise à disposition de locaux pour entreposer les dons. Riz, pâtes, sucres et pack d’eau seront triés, empaquetés, stockés, pendant trois semaines, par les bénévoles dans la salle de boxe de l’Espace socioculturel et d’aide à l’emploi (l’Escale) de Villiers-sur-Marne. Très vite, le lieu devient trop exigu pour accueillir les dons qui ne cessent d’affluer. La salle des fêtes de l’Escale sera également occupée par les humanitaires en herbe. La question du stockage réglée, se posera celle de l’acheminent des dons en Somalie. « Nous avions prévu de les amener nous-mêmes, mais pour des raisons de sécurité, ça n’a pas été possible.» Le Ministère des Affaires étrangères apportera son concours : la Marine nationale, qui devait déjà acheminer 315 tonnes de dons alimentaires  provenant du secteur agro-alimentaire, de la filière sucrière, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi que 66 tonnes de riz de la Croix Rouge française, se chargera en plus des vivres collectés par France Afrik Terre 2 Kultur. « Nous avons eu l’assurance que tout est arrivé à bon port » se réjouit Amadou.

Comment faire pour qu’on ne nous colle pas tous l’étiquette de casseurs de banlieue ?

Ce qui n’a pu être envoyé a été redistribué aux associations caritatives locales, les Secours Catholique et Populaire, les Restos du cœur, etc. « Nous avons pu démontrer à travers cette fabuleuse chaîne de solidarité que la banlieue, ce n'est pas que des choses négatives. Elle sait faire des choses nobles. » C’est tout l’objectif de son association. Créée au lendemain des émeutes de 2005, elle a pour objectif de développer l’esprit de citoyenneté, et de prévenir la délinquance à travers des actions de solidarité internationale et des projets humanitaires menés par des jeunes du quartier. « Je me suis posé la question, vu qu’il y avait une prise de conscience sur les banlieues, de comment faire pour qu’on ne nous stigmatise pas, qu’on nous colle pas tous l’étiquette de casseurs de banlieue. J’ai mis mon expérience en avant, ce que je pouvais apporter aux jeunes, pour monter l’association. » Une association qui, du Mali au Bangladesh, continuera d’œuvrer, quel que soit le continent, et quels que soient les profils de ceux qui y contribuent.

Dounia Ben Mohamed

 

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