Sevran : les habitants reprennent en main leur HLM

Le 08-02-2013
Par Charly Célinain

Ces dix dernières années, les habitants du quartier des Beaudottes, à Sevran, devaient faire face à de nombreux dysfonctionnements en matière de logement. Depuis près d'un an et demi, une amicale s'est formée pour défendre leurs intérêts. Après seulement douze mois, ils sont parvenus à des résultats surprenants...

 
Vendredi soir, 18h45, au quartier des Beaudottes, tout est calme. La boulangerie et la supérette du coin animent un peu le quartier. Nous avons rendez-vous au rez-de-chaussée d’un chaussé d’une barre, rue Francis Garnier. Tous les vendredis soir, Jaouad Dahmani et Mohamed Mir tiennent une permanence de 18h30 à 20h pour aider les locataires à régler leurs problèmes de chauffage, infiltration d'eau... Il faut dire que depuis près d'un an et demi qu'ils ont formé l'amicale, ces « enfants des Beaudottes » ont remporté des victoires significatives. Depuis, les locataires se tournent de plus en plus vers eux avant d’aller voir vers le bailleur.
 

Une amicale nécessaire

Local de l'amicale, 18h50 : deux locataires de la rue de Bougainville entrent dans le local. Un chèque à la main, l'un d’eux se dirige vers le bureau de Mohamed pour payer la cotisation. Il a profité de son passage au local pour amener sa voisine qui rencontre quelques problèmes : « J'ai eu des infiltrations d'eau. J'ai appelé l'assurance, ils vont rembourser pour les travaux des murs et du plafond, mais ne veulent pas payer pour le sol. Ca sent mauvais, à cause de l'humidité, ça pourrit. » Mohammed note toutes les données du problème sur un cahier déjà bien rempli. A peine cinq minutes après que cette dame ait quitté le local, arrive un autre locataire. Un père de famille, résidant allée Francis Garnier, vient se plaindre en expliquant qu'il va refaire la peinture de ses murs et plafonds dans toutes les pièces, et ce pour la deuxième fois depuis deux ans : « J'ai dit au bailleur que je ne peux plus vivre là-dedans. J'ai des enfants, ce n'est pas bon pour eux, donnez moi un autre appartement, à Sevran même, pas de problème. Ca fait deux ans que ça dure, j'ai un CDI chez Relay, je paie mes factures, c'est plus possible. » Jaouad et Mohamed lui conseillent de ne pas payer les travaux de sa poche mais trop tard, les ouvriers viennent chez lui demain...
 

Des résultats

Barbe bien taillée, lunettes, Jaouad Dahmani explique : « On règle des problèmes d'urgence au jour le jour. Mais on veut surtout leur montrer qu'en se plaignant de la manière officielle, ils seront entendus un jour ou l'autre. » Le discours de l'amicale a d'autant plus de poids qu'en 2012, ils ont obtenu des résultats inespérés pour les 29 bâtiments du quartier : « L'été dernier, la 3F [bailleur de l'ensemble-ndlr] a fait un investissement de plus d'un million d'euros. Nous avons su jouer avec les médias pour mettre le bailleur face à ses responsabilités. » Cette somme est un dédommagement pour une absence totale de chauffage sur quinze bâtiments de 2008 à 2010. Concrètement, les 1200 familles du quartier ont pu bénéficier d'un mois, voire deux, de loyer « gratuit ». Il a donc fallu attendre près de quatre ans et la création de l'amicale des Beaudottes en 2011, pour régler la situation. Pourtant, le quartier était déjà pourvu d'une amicale : la CLCV (association Consommation Logement et Cadre de Vie) Sevran-Beaudottes.
 
Ce qui fait la force de notre amicale, c'est qu'on a tous grandi ici

La CLCV dépassée

« Nos voisins ont monté leur amicale (CLCV) il y a plus de 10 ans. Ils étaient invisibles ou inefficace. Ils n'étaient pas identifiés, ni reconnus par les locataires. Nous, on était identifiables au bout de 2 mois. Si on s'est constitué, c'est qu'il n'y avait pas de rapport de force avec le bailleur qui ne s'est pas gêné, alors que les conditions de vie se dégradaient » raconte Jaouad. Puis il poursuit : « Ce qui fait la force de notre amicale, c'est qu'on a tous grandi ici. A la CLCV, ils sont déconnectés du terrain. Ils ne sont pas là par choix. Nous, on est là par volonté propre. ». Une différence fondamentale qui peut expliquer qu'en un an, l'amicale des Beaudottes a obtenu bien plus que la CLCV en dix ans. « Dans l'autre asso, le président a réussi à se faire financer son terrain de pétanque, c'est le seul du quartier qui joue dedans... » nous dit Jaouad, l'air révolté.
 

De la CLCV à l'amicale 

19h40 : Nadia Boualouche entre dans le local. Cette ex-membre de la CLCV vient rejoindre l'amicale des Beaudottes : « Je me battais seule. Tout ce qui se passait aux Beaudottes ; j'ai l'impression que ça les intéressait pas trop. Je me bats pour des problèmes d'eau chaude, nous sommes défavorisés, de l'autre coté de Bougainville, et je n'arrive pas aboutir à quelque chose depuis trois ans. Cette année j'ai été claire, j’arrête… » Une aubaine pour Jaouad, qui nous confie que c'est l'aboutissement de plusieurs mois de discussions, lui qui cherchait un référent dans l'immeuble de Nadia. 
 
La culture de l'écrit est absente sur le quartier, ils se plaignent à l'oral, pas à l'écrit.

Manque de moyens

Les sommes levées pour le remboursement des habitants sont importantes. Mais l'amicale des Beaudottes reste une association dont la seule ressource est la cotisation annuelle : « 29 euros ! Dont 24,80 euros vont à la Confédération Nationale du Logement, à laquelle nous sommes affiliés. » Trop peu pour financer une salle informatique et un emploi jeune qui pourrait gérer cette salle, et ceci dans un but précis : « Pour les remboursements, les bailleurs ont usé d'une stratégie propre à ceux qui connaissent les codes administratifs : ils ont pris en charge toutes les doléances numériques ou les traces écrites. La culture de l'écrit est absente sur le quartier, ils se plaignent à l'oral, pas à l'écrit. Donc, au lieu de tenir compte de 1200 plaintes, les bailleurs en ont pris 200. Pour l'instant, on centralise tout, et quand on a des retours, on le dit aux locataires en les croisant dans le quartier. Mais à terme, nous voudrions mettre à disposition des ordinateurs, ainsi qu'une base de données avec des courriers types, pour que les habitants puissent faire leurs réclamations eux-mêmes. »
 

Faire bouger le quartier

« Du côté de la ville, on nous connaît. Mais avec la crédibilité et les résultats, il y a deux solutions : soit on nous craint, soit on nous aide. Pour l'instant, nous n'avons pas eu de bâtons dans les roues de la part de la ville, mais on ne nous aide pas non plus, c'est le stand by » nous rapporte le président de l'amicale. En attendant des aides pour améliorer la qualité de vie du quartier, il a fallu faire avec les moyens du bord : « Dans le quartier il y avait une salle de sport inoccupée. Nous avons fait une pétition, écrit et obtenu cette salle. Nous y développons des activités sportives, la culture... Nous essayons de faire en sorte qu'en sortant de l'école, les gamins, au lieu de traîner en bas, aient une salle qui est juste en bas de l'immeuble.  Il y a 2 ans, pour que nos gamins puissent faire du sport, il fallait les emmener de l'autre côté de la ville. Nous étions enclavés, c'était une prison à ciel ouvert. »
 
Apprendre à réclamer son dû auprès des bailleurs, responsabiliser les habitants, recréer du lien social aux Beaudottes… l'amicale se fixe des objectifs ambitieux à long terme. 20h40 : il est temps pour Jaouad, Mohamed et Nadia, qui est restée discuter longuement des problèmes du quartier, de rentrer chez eux. Des problèmes individuels sont venus s'ajouter à une liste déjà longue. Une bataille a été gagnée, de quoi redonner le moral aux troupes de l'amicale et aux habitants dans cette lutte quotidienne pour améliorer les conditions de vie.
 

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