
Salah Amokrane : ne pas être tout le temps en train de réinventer l’eau chaude

La mémoire de l’immigration est au centre des préoccupations du Tactikollectif toulousain. Le pendant associatif du mouvement politique des motivé-e-s arbore d’ailleurs la pelle et la pioche, en hommage aux travailleurs immigrés, aux côtés de l’étoile sur son emblème. Le festival Origines contrôlées mis en place il y a 8 ans par la structure, associe expressions artistiques et réflexions autour de l’histoire et de la mémoire, des discriminations et de l’égalité des droits. Alors que ses frères Mouss&Hakim, anciens membres de Zebda, occupent la scène, Salah Amokrane, homme de terrain, coordonne le collectif. Retour avec lui sur l’importance de la mémoire historique et de sa transmission par la musique dans le projet Origines Contrôlées.
Quel est l’objet d’Origines Contrôlées ?
C’est un projet de l’association, Il y a le festival, il y a eu un disque. Le nom est un jeu de mot en rapport à tous ces débats qu’il y a sur la question des origines. On est dans un climat électoral où cette question est l’objet d’un contrôle permanent. Ca nous renvoie dans une réalité de contrôle quotidien quand on est un peu basané, franchement basané ou carrément différent.
Vous faites souvent appel à l’histoire de l’immigration pour mieux appréhender le présent…
Oui on s’intéresse beaucoup à ces questions d’histoire et de mémoire plus largement. Ca nous paraît absolument fondamental, non seulement pour comprendre dans quelle société on vit aujourd’hui : ce n’est pas complètement idiot de savoir comment les choses se sont passées, pourquoi il y a des français aujourd’hui qui sont là depuis moins longtemps et d’autres, de deuxième, troisième génération, pourquoi nos parents sont venus ici. Ils ne sont pas venus ici pour faire du tourisme. Il y a des raisons qui expliquent ça. Il y a aussi des raisons politico-historiques, pour ceux qui sont d’origine maghrébine ou africaine par exemple, qui sont liées à l’histoire coloniale. Le lien que la France a imposé à une partie du monde en la colonisant. D’une autre manière, sur les questions de mémoire, nous on pense que pour pouvoir agir aujourd’hui, c’est pas complètement idiot, si on veut lutter, de se souvenir, d’avoir comme références, d’analyser les luttes d’hier, que ce soit dans les années 80, les années 70…Qu’on ne soit pas tout le temps en train de réinventer l’eau chaude.
La musique joue-t-elle un rôle important dans cette transmission de la mémoire de l’immigration ?
Souvent les immigrés de première génération sont des gens qui ont vécu dans une espèce d’invisibilité publique. Notre projet est né de l’idée que cette génération de nos parents ne s’était pas exprimé du tout, qu’ils étaient silencieux, soumis… Et nous quand on entendait ça, ce qu’on a voulu dire c’est qu’effectivement, d’abord du fait de l’histoire coloniale, bon nombre d’entre eux n’étaient pas instruits, n’avaient pas été à l’école, donc on ne trouve pas beaucoup de traces de leur expression dans les journaux. Du fait qu’ils aient été traités comme des citoyens de seconde zone, quand ils sont arrivés en France on ne les voyait pas, ni à la télé, ni à la radio. Par contre ça ne veux pas dire qu’il ne s’est rien passé. Il y a eu notamment à travers les chanteurs et les chanteuses, des expressions artistiques qui parlaient de leurs préoccupations, de leurs conditions de vie, de leur histoire [Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem...]. Nous on s’intéresse à ça car il y a une production artistique qui est intéressante non seulement sur le plan esthétique mais aussi sur le plan de la mémoire.
Ces chanteurs, ils sont écoutés par les nouvelles générations ? Il y a eu une transmission ?
C’est pas forcément spécifique à l’immigration : ce qu’écoutent les parents n’est pas forcément écouté par les enfants. Mais par contre ils ont été entendus, souvent. Et ensuite le travail de l’acteur culturel…et politique, comme le Tactikollectif, c’est de les faire connaître, de les faire remonter à la surface et ensuite le fait de les réinterpréter c’est un bon moyen d’y arriver.
Tes frères [Mouss &Hakim] ont fait un disque de reprises de chansons de l’immigration…
Oui il s’appelle Origines contrôlées : chansons de l’immigration algérienne.
Lors de votre dernier festival vous vous êtes associés au collectif « Justice et Dignité pour les Chibanis » votre mobilisation a-t-elle porté ses fruits ? J’ai lu que le collectif a gagné son procès.
On s’est engagé effectivement avec une dizaine d’associations dans ce collectif et du coup au moment du festival on en profite pour organiser des temps publics. Le procès qu’on a gagné ce n’est pas un procès sur le fond, mais un procès sur le droit à l’image. On a été attaqués par le directeur de la Caisse de retraite pour avoir reproduit une vidéo sur le site internet du collectif, sur une action du collectif, et comme il apparaissait dedans il nous a attaqués pour atteinte à son droit à l’image. C’est ça qu’il a perdu. C’est déjà pas mal mais sur le fond on n’a pas gagné.
Est-ce que ton expérience en tant qu’élu t’a permis de sensibiliser les autorités à ces questions de mémoire de l’immigration ?
Ce n’est pas tellement mon expérience en tant qu’élu qui l’a permis, c’est surtout le travail de terrain, c’est surtout le rapport de force, le fait qu’on ait pesé dans l’espace public, qui a fait qu’à un moment donné il y ait des questions qui ont été plus entendues. C’est complémentaire, la politique c’est aussi un travail d’éducation populaire, pas que de la politique politicienne. Et ensuite l’associatif a des limites, ça s’arrête au portes…C’est bien quand on arrive à combiner les deux.
propos recueillis par YT
http://www.tactikollectif.org
8ème édition du festival origines Contrôlées du 19 Novembre 2011 au 25 Novembre 2011 à Toulouse
Origines contrôlées : CARTE DE RESIDENCE par itejnono
Slimane Azem, Carte de résidence