Rost : « Les gens qui ne vont pas voter et qui ouvrent leur gueule devraient se la fermer »

Rost /MaxPPP
Le 20-10-2014
Par Audrey-Lya Levy

Nommé en mars dernier par François Hollande au Conseil Economique, Social et Environnemental, le rappeur Rost nous parle de son engagement politique, mais aussi du rôle du rap dans le débat public.

 

Comment a commencé votre engagement politique ?
Rost - La révolte dans les quartiers populaires en 2005 a été un élément significatif. Quelques mois avant ces émeutes, j’avais sorti un album sur lequel figurait une chanson, La voix du peuple, qui parlait déjà des tensions importantes dans les quartiers à ce moment là. J’avais suffisamment alerté en disant que si les choses ne changeaient pas, tout finirait par exploser. Certains ont pensé que c’était de l’exagération et que je faisais en réalité de l’incitation à la violence. La chanson a été rapidement retirée des ondes. Cette censure m’a permis de me rendre compte que l’art pouvait avoir des limites. J’ai décidé alors de passer à une autre étape. Les journalistes ont commencé à me contacter à cause de ce fameux morceau. Paul Amar m’a invité dans son émission pour débattre avec Jean François Copé, à l’époque ministre de l’Economie. Ce débat avait tellement fait de bruit que j’ai commencé à devenir le haut parleur des jeunes de banlieues sur les plateaux de télé.

 

Est-ce qu’un rappeur a assez de légitimité pour s’inviter dans le débat politique ?
Rost-
L’éternelle grande question !  Quand j’arrivais à « mettre à l’amende » des ministres lors de ces émissions, certaines personnes qui réduisaient les rappeurs aux « ouech ouech, nique ta mère » ont commencé à avoir une autre image de nous. Dans l’absolu,  tout le monde est légitime et personne ne l’est, quelle que soit notre fonction, qu’on soit rappeur ou n’importe quoi d’autre. Moi, je suis un citoyen avant tout, qui a un regard sur sa société et son environnement. Ce n’est pas à moi de dire si je suis légitime ou non. L’important est de savoir ce que je peux apporter dans le débat public pour faire bouger les choses.

 

Que pensez-vous pouvoir apporter de plus que les politiques ?
Rost – On a besoin de voix nouvelles mais on a surtout besoin d’avoir de nouveaux visages et plus de diversité. Les gens ont un réel besoin d’identification, non pas seulement parce que nous sommes noirs ou arabes, mais parce que nous avons vécu les mêmes choses qu’eux et savons de quoi nous parlons. Du coup, ceux qui ne viennent pas du milieu politique, ont ce regard neuf. Ils  accélèrent davantage les choses, les décisions vont plus vite. Les politiques connaissent peu les quartiers populaires ; grâce à ma connaissance du terrain, je suis le pont entre ces deux univers. D’autre part, quand des gamins dans les quartiers me remercient pour mon engagement, je me rends compte à quel point les rappeurs ont un impact sur eux.  Si ça les sensibilise à la politique et à des questions de société, alors moi je suis heureux.

 

Le rappeur Médine affirmait récemment lors d’un colloque, que les rappeurs n’ont pas à s’inviter dans le débat public. Qu’en pensez-vous ?
Rost – Je ne suis pas d’accord. D’autant plus que Médine est invité dans ces colloques non pas comme citoyen engagé mais comme rappeur engagé. Qu’on le veuille ou non, on fait bouger les choses en s’invitant dans le débat public. Un rappeur comme Kery James a l’intelligence et la conscience qu’il faut pour s’impliquer dans le débat public. Je trouve dommage qu’il ne prenne pas suffisamment la parole. Mais la pression des maisons de disque explique souvent que certains ne prennent pas part au débat. Quand vous vous mettez à prendre position sur des sujets brulants, il faut savoir que les ventes chutent.

 

Ne craignez-vous pas d’être instrumentalisé par les politiques ?
Rost - En 2007, plusieurs politiques m’ont appelé pour me proposer de partir en campagne avec eux et de les soutenir. Moi, j’ai des valeurs. J’ai eu conscience qu’ils pouvaient se servir de moi mais je me suis vite demandé jusqu’où j’étais prêt à les défendre sans compromettre mes convictions. Quand Hollande m’a appelé en 2011 pour me demander l’autorisation d’utiliser ma chanson pour les primaires, j’ai été très touché mais je savais pourquoi il voulait le faire. Avant d’accepter sa proposition de m’engager avec lui en politique, j’ai tenu à déjeuner avec lui pour discuter des conditions. Je lui ai dit : « Si la question des quartiers populaires est un des axes importants de votre campagne et de votre futur gouvernance alors moi je m’engage à vos côtés.»

 

Dans un entretien accordé au Point en 2012, vous évoquiez le mépris de l’équipe de campagne de Hollande à l’égard des quartiers populaires. Deux ans après, avez-vous toujours ce ressenti ?
Rost - On me reparle tout le temps de ça. J’ai été le premier à pousser un coup de gueule. Le vote dans les quartiers populaires a largement contribué à l’élection de François Hollande. Cette histoire a pris une tournure gigantesque et beaucoup de politiques m’en ont voulu.  Mais ce coup de gueule était salutaire et impératif. Je ne pouvais pas trahir mes convictions. C’est là qu’on prend conscience encore une fois de l’impact qu’on a dans le débat public.  Des proches de François Hollande,  ont décrété qu’il ne fallait plus parler des banlieues simplement pour ne pas se couper des électeurs de plus de 50 ou 60 ans. Les quartiers populaires sont trop délaissés. Il y a eu les emplois jeunes mais c’est un palliatif. C’est triste mais nous n’avons jamais autant avancé que sous Sarkozy sur cette question là. Je ne  le portais vraiment pas dans mon cœur. La "racaille" et le "Kärcher" m’ont profondément marqué mais une vraie politique a été mise en place sur la diversité. Aujourd’hui, on recule là dessus. Le peuple a besoin de concret maintenant, il est temps que les choses bougent sur ces questions.

 

Et quand vous êtes face aux jeunes, qu’est-ce que vous leur dîtes alors ?
Rost - Organisez-vous, structurez-vous. Prenez en main votre destin. Les gens qui ne vont pas voter et qui ouvrent leur gueule devraient se la fermer. Quand on vote, on a la légitimité pour critiquer les politiques. En créant des mouvements, des associations ou encore des projets, les choses pourront avancer.  Il ne faut pas hésiter à chercher des financements et  créer des petites entreprises. Ce n’est pas simple mais il faut se battre ! Faites en sorte que vos petits frères et petites sœurs fassent des études. Je ne suis pas communautariste pour un sou, mais j’estime que la communauté doit servir à garantir ses libertés sans que cela devienne un repli communautaire nocif pour la République et pour tout le monde. Si on ne fait rien, les conséquences vont être énormes. Responsabilisons nous et arrêtons de penser que c’est la faute des autres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...