
Relais de Ménilmontant : le centre social devenu le lieu mythique de « la Marche »

Au cœur du 20ème arrondissement de Paris, la petite structure a accueilli tous les comités de soutiens des marcheurs tout au long des aventures de 1983 et 1984 (Convergence 84).
Un soir ordinaire au Relais de Ménilmontant. Des enfants de toutes les couleurs font les allers-retours dans les étroits couloirs colorés. Direction les toilettes, les salles d’animations ou opération lavage des ustensiles de peinture dans les lavabos… Scène bien connue des centres de loisir. Sur les murs, les plannings de l’organisation des activités, des photos... Qui pourrait imaginer que le centre social du quartier de Ménilmontant, au milieu de la longue rue qui porte le même nom, soit devenu en 1983 un endroit mythique pour la génération des marcheurs et de leurs soutiens parisiens ? « C’est dans cette petite salle que les marcheurs historiques, avec des proches, sont venus manger un couscous juste après la manifestation du 3 décembre ! Il y avait une sacré ambiance, du monde à craquer » se rappelle Daniel Duchemin, qui était alors le directeur de la structure.
Un centre social investi par les militants
Avant la Marche de 1983, le Relais était déjà un centre social qui appartenait à l’archevêché. Niché à proximité de la cité de transit où étaient logées des familles à majorité immigrées, le centre avait pour vocation de faciliter leur intégration. Cours d’alphabétisation, économie sociale et familiale, soutien aux familles dans les démarches administratives et même garde d’enfants… « A l’époque, ce n’était pas vraiment une garderie comme on en connaît aujourd’hui, mais il y avait déjà un endroit pour que les tout-petits jouent en sécurité et laissent leur maman finir leurs démarches ».
Au moment où la Marche est lancée, une salle est demandée, notamment par l’intermédiaire des membres de Radio Beur (devenue Beur FM), au directeur pour réunir le Collectif jeunes d’Île-de-France. Collectif créé au départ pour préparer la commémoration des massacres des manifestants algériens du 17 octobre 1961 à Paris. Très vite, ce sont les étapes des marcheurs, et surtout leur arrivée à Paris qui mobilisent tout le monde. « D’un coup, il y avait du monde partout, les militants ont complètement investi le centre. On a même accueilli des jeunes de province venus de Marseille ou Lille. Les membres du comité étaient constamment au téléphone avec les marcheurs sur place pour l’organisation. Les débats n’en finissaient pas… Parfois ils faisaient même des allers retours sur place pour tout finaliser … » poursuit l’ancien directeur qui fut un témoin privilégié de cette époque. On imagine en effet toute la logistique qu’il a fallu, sans Internet ni téléphone portable, pour organiser tous les débats et un rassemblement de plus de 100 000 personnes. Ce foisonnement, et la médiatisation autour de la Marche ont évidemment touché les gens du quartier, notamment les plus jeunes. « Les gens savaient bien ce qui se passait ici… Deux jeunes du quartier de 16 ans sont même partis marcher » précise Daniel Duchemin. Des jeunes qui avaient été marqués par le bouillonnement autour d’eux. « Un an après l’arrivée des marcheurs à Paris, on a déploré une série d’incendies criminels dans le quartier. On a tous été surpris quand des jeunes habitués du Relais ont eu l’idée de se mobiliser en mémoire d’un gamin mort dans un incendie. Ils ont organisé eux-mêmes une manif’ avec banderole etc. Ils ont même été reçus par la Radio Beur. Je me rappelle bien d’une fille de 12 ans qui, à la question : « Quel métier veux-tu faire plus tard ? » avait répondu sans hésitation « Femme politique » ! ». Un temps assez lointain où les jeunes devenus aujourd’hui parents, étaient sensibilisés !
Retour au calme… et aux activités sociales de quartier
Après l’épisode 1983, c’est le bébé né de la Marche, Convergences 84, qui se réunit à son tour au Relais. Aujourd’hui, un groupe de bénévoles du MRAP tient une permanence pour les sans papiers. Et, « depuis le début de l’année scolaire, les anciens de Convergences 84 et de la Marche à Paris se réunissent ici tous les lundis pour préparer les commémorations des trente ans ». Mais très vite, les actions militantes ont laissé place aux activités d’origine du Relais. Le centre s’est institutionnalisé et a retrouvé ses actions sociales. Maison de quartier agrée par la caisse d'allocation familiale ou le ministère de la jeunesse et des sports, il s'inscrit aussi comme lieu d'éducation populaire.
Pour les gens du quartier, le centre est surtout un rendez-vous incontournable pour l’accueil des familles et des enfants. Centre de loisir, soutien scolaire, salle multimédia et garderie pour les tout-petits. Ce sont les plus jeunes qui ont le plus investis les lieux, en témoignent la décoration arc-en-ciel. Aujourd’hui, il est fort à parier que ceux qui fréquentent le centre sont comme la majorité des jeunes Français de leur âge : ils n’ont jamais entendu parler de la Marche. « C’est vrai que c’est méconnu. Il faut qu’on leur raconte… », reconnaît Daniel Duchemin.
Mais en ces temps de crise qui fragilisent les plus pauvres, il reste peu de place à l’histoire et à la nostalgie. Le Relais qui rassemble dans un même lieu écrivain public, cours d’alphabétisation et aide à l’insertion et à l’emploi, est un endroit précieux. A travers toutes ces activités concrètes, le centre accueille en moyenne 180 personnes par jour. Majoritairement des familles du quartier mais aussi une minorité qui fait le déplacement des autres arrondissements populaires de Paris et même des banlieues nord-est de la région.