
Que 100 Charlie fleurissent… et aussi de nouveaux Presse & Cité

Presse & Cité, parce qu’il est un média, parce qu’il est porteur des mêmes valeurs de tolérance que Charlie Hebdo et parce qu’il travaille sur les banlieues françaises d’où sont issus nombre de fanatiques se revendiquant de l’islam, un islam dévoyé, est consterné par l’attentat du 7 janvier.
Presse & Cité se joint à l’émotion que doivent ressentir les familles et les amis des victimes, ainsi qu’à la solidarité nationale et internationale qui ont prévalu depuis cette tragédie inédite dans l’histoire de France. Comme le font peut-être les autres médias, Presse & Cité se pose aussi la question de son rôle dans la terrible défaite de la pensée que constitue ce massacre et cette agression contre la liberté de la presse.
une Victoire d'un populisme numérique
Défaite de la pensée médiatique tout d’abord, qui n’est pas nouveau et que nous avons déjà dénoncé, face à la montée d’un véritable populisme numérique (Dieudonné, Soral, complotistes en tous genres, extrémistes de droite…) et face aux discours de haine qui, sous couvert d’esprit « polémique », ont dorénavant pignon sur rue dans nombre de chaînes de télé et de radio.
Il faut impérativement rouvrir les débats de fond, y compris certains que nous avons nous-même évité jusqu’alors, afin que la vie de la pensée reprenne sereinement, préventivement à l’usage des armes. Il faut surtout que cette vie de la pensée se renforce, notamment dans les quartiers.
Charlie, le débat oublié
Disons-le tout net : nous avons pour la plupart, au sein de notre rédaction, eu des doutes sur la pertinence, de la part de Charlie Hebdo, de placer sur un pied d’égalité ses attaques contre les différentes croyances abstraction faite de leur situation dans la société française. Pensant qu’une religion culturellement hégémonique, même si en net recul, comme le catholicisme, ne pouvait subir exactement le même traitement qu’une religion minoritaire étant ou se vivant comme dénigrée (l’islam). Surtout après que ses fidèles aient subi des décennies (au moins) de racisme et de colonialisme, de discriminations... Même s’il convient de rappeler que l’islam n’a pas été, et de très loin, la première croyance à subir la satire drolatique de Charlie Hebdo, qui a toujours attaqué toutes les idées et croyances, au nom d’une exigence d’humanité.
Mais ce point de vue n’a pas empêché certains d’entre nous de considérer Charlie Hebdo comme faisant partie de leur ADN, en raison de son esprit frondeur sans équivalent dans le monde de la presse (y compris au-delà des frontières), et de son mélange typiquement français d’irrévérence, d’amour de la culture (notamment littéraire), d’engagement et de gauloiserie.
Au moment de l’affaire dite des « caricatures de Mahomet », Presse & Cité n’a pas jugé bon de traiter éditorialement cette question, laissant chacun des membres de son réseau le faire s’il le jugeait nécessaire. Jugeant cette affaire piégeuse et porteuse de division, contrairement aux autres thématiques qui avaient notre faveur et étaient selon nous susceptibles de créer un socle sain pour construire une pensée alternative et constructive sur la question des banlieues : politique, social, économie, cultures urbaines, citoyenneté, discriminations, vie quotidienne etc, etc.
Presse & Cité a laissé le reste de la presse grand public traiter la question de l’affaire des caricatures, d’une manière souvent maladroite, rapide, parfois nocive (en n’invitant en général qu’un point de vue et en rejetant l’autre un peu trop rapidement d’un revers de la main sous prétexte d’obscurantisme). Tant ces questions, nouvelles pour cette presse, et tant la constitution même de ses rédactions, endogame et hermétique à la diversité sociale et culturelle de la société française, frappée par une gentrification inédite, rendaient ce débat de fond complexe pour elle.
L'erreur de ne pas traiter la montée des discours de haine
Sans doute Presse & Cité, ainsi que les autres médias présents dans les quartiers, ont-ils sous-estimé le traitement de « l’affaire des caricatures », du radicalisme islamique, de l’extrême-droite, du populisme, de l’antisémitisme...
C’était une erreur.
Alors que dans le monde entier la fièvre intégriste monte, qu’elle se revendique de l’islam ou de divers nationalismes, il faut se rendre à l’évidence : nous devons tout faire pour reconquérir le terrain par la parole ; et nous devons nous donner (de même qu’on doit nous donner) les moyens de le faire. Nous devons encore plus porter ces débats dans les interstices de la société, et notamment dans les banlieues qui nous sont proches. Dans ces lieux où nos médias ne parviennent pas, et où les autres médias grand public sont jugés comme ne rendant pas compte de la vie et de l’opinion des habitants.
Presse & Cité, vers un nouvel outil médiatique
Pour ce faire, nous savons depuis la mi-2013 déjà, que Presse & Cité doit changer. L’actualité présente nous renforce dans cette conviction. Nous avons compris à l’occasion du 30ème anniversaire de la Marche pour l’égalité que nous n’arriverions plus à progresser dans la configuration dans laquelle nous nous trouvions, en terme de qualité, de moyens et d’audience. Une configuration qui nous enferme dans un tête-à-tête avec les pouvoirs publics. Comme bon nombre d’associations des quartiers qui s’y sont laissé piéger depuis le début des années 80, avec la politique de la ville. Alors que chaque année, la puissance publique elle-même s’affaiblissait.
Constatant que nous stagnions, payant nos divisions, la pauvreté de nos moyens financiers, notre décalage par rapport aux aléas du monde médiatique ; constatant que les pouvoirs publics restaient hermétiques à nos propositions et ne parvenaient pas à structurer une nouvelle stratégie claire sur nos problématiques, qu’ils ne parvenaient toujours pas à esquisser le récit intelligible de la place des banlieues et de leurs habitants dans l’histoire et la société française du XIXème siècle… nous n’avons d’autre option que de choisir de tourner progressivement une page.
Tourner une page de 30 ans de cette histoire des banlieues dans la société française. Et des médias de quartier.
Pour travailler à un projer renouvelé.
Un projet qui pour lutter contre le formidable populisme numérique qui nous guette, utilise toutes les ressources du journalisme de proximité et ouvre grandes ses portes à la création issue des quartiers, sous toutes ses formes.
Nous voulons croire que la presse grand public acceptera cette offre en raison des événements récents, et si nous parvenons à lui proposer un projet exigeant, d’ampleur.
Nous savons que si cette option échoue, nous disparaîtrons. Et nous ne serons sans doute pas les seuls.
Pour conjurer ce qui serait la fin d’un parcours de près de 20 ans dans les médias des quartiers, nous devons jouer cette dernière carte pour nous réinventer ; en même temps que nous espérons que fleurissent 100 nouveaux Charlie…