Qu ’ont-ils fait de leurs 5 ans ? Stéphane Pocrain

Le 07-12-2010
Par xadmin

« Le masque riant de la diversité permet de passer sous silence la réalité des déterminismes sociaux »

« J’ai vécu ces émeutes comme un coup de poing dans le ventre, avec le sentiment que des années de militantisme n’avaient servi à rien. Quel gâchis ! Beaucoup de militants issus de quartiers ont tiré la sonnette d’alarme depuis les années 80. Avec plus ou moins de radicalité, au coeur ou en marge du système, nous avions en commun de dire que l’avenir du pays se jouait dans ces quartiers. Nous n’avons pas été écoutés. Je crois toujours que les émeutes de 2005 symbolisaient un grave échec de la République. A mes yeux, la leçon est plus rude pour la gauche, qui prétendait représenter les classes populaires et les a abandonnées. Car dans les quartiers, c’est d’abord une crise de l’idée progressiste couplée à un recul de l’action collective qui a rendu inévitable les émeutes.
On ne sait pas très bien d’ailleurs qui mène la danse dans ce couple infernal. L’absence de mouvement global cause-t-elle la résignation ou est-ce parce que l’espoir est en berne qu’on ne lutte plus ensemble ? Ce qui est sûr, c’est que l’atomisation des solidarités anciennes issues de la culture ouvrière laisse une béance dangereuse. Il s’agit de reconstruire une perspective d’émancipation. Une gauche digne de ce nom doit en faire son chantier prioritaire. Globalement, aujourd'hui on peut parler d’involution. La situation est pire. Pour s’en convaincre il n’y a qu’a relire l’appel lancé par les maires des communes de banlieue ou le récent rapport parlementaire sur l’inefficacité de la politique de la ville menée ces dernières années : le bilan de Fadela Amara est famélique et celui de la présidence Sarkozy catastrophique.
Beaucoup de paroles, peu d’actes. On est dans la confusion. Nicolas Sarkozy, illustrant au passage le retard de la gauche en la matière a promu des personnalités issues des minorités, censées représenter la banlieue. L’homme des karchers et de la racaille en VRP des minorités ? On a pu croire à une contradiction. Mais qu’on ne s’y trompe pas, les deux aspects font système : les effets d’affichage symboliques permettent en fait de faire reposer la responsabilité de leur condition sur les seuls individus. La rhétorique est piégée : « Si Rama Yade et Rachida Dati ont réussi, pourquoi pas vous ? Quand on veut on peut » Cela permet de passer sous silence la réalité des déterminismes sociaux, les effets de système, et la pesanteur des inégalités, au nom d’une pseudo exemplarité. Au fond aujourd’hui nombre de conservateurs avancent derrière le masque riant de la diversité. Mais c’est une ruse des dominants pour ne pas poser la question de l’égalité. Quid de l’école, de l’emploi, de la justice environnementale ? Sur tous ces fronts, nous avons reculé.
Le plus marquant ce n’est pas l’absence de telle ou telle mesure qui aurait pu être prise. C’est l’absence globale de conscience des enjeux. La banlieue est frappée d’inexistence politique : elle n’a pas le droit de cité dans le rang des questions politiques importantes. Du coup, on refuse de s’atteler à une véritable révolution urbaine. Je plaide pour que le ministère de la ville soit le premier dans la hiérarchie gouvernementale, et qu’il regroupe les transports, l’environnement, la solidarité et l’éducation nationale. Ce serait un signal fort.
Tous les éléments sont aujourd’hui en place pour un embrasement bien plus violent qu’en 2005. La seule question, c’est de savoir où et quand.»
 

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