
Presse & Cité : on a marché jusqu’à l’Elysée, et maintenant ?

Le 24 avril dernier, le Président de la République, François Hollande, recevait à déjeuner à l’Elysée une dizaine d’acteurs des quartiers, choisis selon des critères aléatoires, dont Presse & Cité, afin de prendre le pouls des banlieues un an après l’investiture d’un président qui avait obtenu, dans ces quartiers, des scores nord-coréens aux élections présidentielles. A ces acteurs, dorénavant, de relever le gant.
Le Monde croyait savoir, dès le lendemain, que les personnes présentes étaient satisfaites : « l’opération séduction a marché », titrait le quotidien du soir. On peut en effet dire que les invités n’avaient pas trop l’habitude des lambris de ce palais de la République, et que certains d’entre eux ont du penser à leurs parents, d’origine modeste, au moment de passer à table avec le premier des Français.
Il n’y avait pas d’ordre du jour, aussi, la discussion, franche et décontractée, a pu balayer un inventaire à la Prévert de sujets : le chômage, l’éducation, la culture, les chibanis et le droit de vote des étrangers, le salafisme… Un esprit chagrin dirait « qui trop embrasse mal étreint », mais l’objectif n’était sans doute pas tant de faire avancer tel ou tel dossier, que d’écouter le « terrain », que pouvaient sans doute représenter en partie les présents : responsables de grandes fédérations d’éducation populaire, du conseil d’administration de l’Acsé, associations de quartier ou petits entrepreneurs, intellectuels et électrons libres…
Et si un autre rendez-vous a été fixé à dans deux mois, plusieurs questions mériteront d’être abordées.
-les acteurs invités parviendront-ils à élargir leur cénacle, et donc à muscler la portée de leur parole, pour parler d’une même voix avec quelques objectifs simples ?
-parviendront-ils aussi à baliser des pistes afin de répondre à une situation de plus en plus difficile au quotidien, le précariat étant devenu structurel dans les banlieues (et le taux de pauvreté flirtant avec les 36% de la population…)
-parviendront-ils à faire entendre que trente ans après la Marche pour l’égalité (ou « des beurs »), des actes forts et des symboles explicites sont attendus, qui témoignent que la France a enfin pris la mesure de la place qu’occupent dorénavant ces quartiers et leurs habitants dans son paysage et dans son histoire
-réussiront-ils à se raccrocher aux projets portés par le ministère de la ville, principal acteur à la manœuvre sur ces questions (et qui ne doit pas oublier, comme le Parti socialiste, qu’il avait naguère évoqué d’éventuelles « Assises des quartiers », pour le premier, et un « Grenelle des quartiers », pour le second -certes avant les élections) ? Comment se positionneront-ils par rapport au projet de ce ministre concernant la participation des habitants (mission Bacqué-Mechmache) ?
-arriveront-ils à faire entendre aux ministères de la République qu’ils sont les premiers demandeurs du « droit commun » que la République leur promet depuis des lustres (et pas seulement de la politique de la ville), mais que ce « droit commun », ne semble bien souvent pas vouloir d’eux, puisqu’il qu’il se dérobe régulièrement à eux quand ils le sollicitent, les renvoyant aux politiques spécifiques aux quartiers… (en particulier dans le domaine de la culture). A ce chapitre, par exemple, alors que les aides ministérielles aux médias de quartier étaient de 280 000 euros sous le précédent gouvernement (de droite), elles sont tombées à 0 euros sous l’actuel gouvernement. Dans les couloirs de la rue de Valois, on parle de « gels » de budgets, voire de « surgels ». Nous concernant, il s’agit plutôt d’amputation pure et simple. Parler de « droit commun », et l’annoncer de manière lancinante, à ce jour, est une gigantesque plaisanterie, pour ne pas dire une forfaiture.
Nous le voyons, les enjeux sont énormes, les moyens dérisoires, la volonté chancelante, et le cap pour le moins flou. 10 millions de français sont pourtant concernés. Il ne s’agit plus de minorités. La France aura-t-elle enfin une politique à la hauteur de ce que commandent les mutations de sa société, pour beaucoup nées dans les quartiers ?
Saurons-nous le faire comprendre aux plus hautes instances, pour les guider sur le bon chemin ?
Erwan Ruty, rédacteur en chef du Journal Officiel des Banlieues