Opération « Dans mon hall » : « Il y a de la ressource humaine enfermée dans les appartements »

Animateurs, réalisateurs, et lauréats... Photo : Dacp
Le 20-03-2016
Par Erwan Ruty

Ils étaient 9 équipes (et autant de villes de France, Antilles comprises) à concourir à l’opération « Dans mon hall », portée par l’agence de production audiovisuelle Dacp (De l’autre côté du périph’) et la CSF (Confédération syndicale des familles). Pour la clôturer, une remise des prix avait lieu à l’hôtel de ville de Paris le 4 mars.

 

« On se trouve des capacités insoupçonnées quand on fait le pari que c’est possible, avec de la bienveillance », s’étonnait presque Frédérique Kaba, de la Fondation Abbé Pierre, qui avait co-financé le projet, et s’exprimait lors de la table-ronde faisant suite à la projection des 27 films (courts) réalisés.
 

Faire de l'art pour transformer

La bienveillance, tout est là. Dans une période où la méfiance s’enkyste, elle reste heureusement le moteur de bien des acteurs associatifs dans les quartiers. Mais ce message positif n’est pas seulement une comptine pour Bisounours. En témoigne Aminata Koné, de la Csf, qui a accompagné le projet sur les différents sites retenus : « Nous ne faisons pas de l’art pour de l’art, mais pour transformer. Les gens fendent la carapace, ils vont vers les autres. A un moment de fragilité naît quelque chose de solide, pour que la société puisse être inclusive, alors qu’elle met souvent de côté. Le cinéma, ainsi, permet aux familles de concrétiser un peu de leur rêve. Produire cela, c’est partager de la générosité, partager un moment qui donne envie de vivre ensemble. Il y a de la ressource humaine enfermée dans les appartements ». Et sa collègue de la Csf 77 (Val-de-Marne), qui a porté l’un des projets, d’abonder dans son sens : « Ces projets resserrent les liens dans les familles, pas seulement dans les quartiers. Ca laisse de bons souvenirs à partager ».  
 

Manger le gâteau à plusieurs

Yannick Theodor, de Chanzy, en Guadeloupe, témoignait lui, de ce que ce type de projet pouvait provoquer chez les habitants, avec une sincérité qui a ému tout le public : « On offre la possibilité aux gens de montrer à ceux de l’extérieur qu’ils ne sont pas seulement ce qu’ils croient. Vu de l’extérieur, la cité, c’est le grand n’importe quoi, mais c’est surtout un grand mixeur. Les gens se débrouillent comme ils peuvent, pas forcément comme ceux qui décident le voudraient. Moi, j’ai fait de grosses et de petites conneries, mais je voulais dire que si notre vie n’est pas facile, il n’y a pas de fatalité. Ces films ont changé la vie d’hommes, de femmes… et même d’animaux* !!! On peut voir en eux ce qu’on peut faire avec très peu de moyens, mais avec des gens des quartiers, pas seulement des techniciens. Pour une fois, ce n’était pas une seule personne qui mangeait tout le gâteau ! »
 

Une culture qui fait peur aux décideurs

Aminata, d’Aulnay, allait dans le même sens : « On amène les gens à consommer. Mais avec le cinéma, on amène nous, les jeunes à se projeter dans tout ce qu’il y a à côté. En faisant ça, on s’élève et ça permet de nous regarder autrement parce que nous-mêmes on a donné quelque chose d’autre à voir ». Elle était rejointe par Jean-Pierre Gilles, de la Fondation Abbé Pierre : « La culture fait peur aux décideurs. D’ailleurs, dans toutes les dictatures, on brûle les livres. Et on préfère toujours le folklore à l’éducation populaire ».

 

Destruction créatrice

Pourtant, ce type de projet n’est pas toujours une promenade de campagne : budgets étiques pour les équipes professionnelles (techniciens et réalisateurs, présents deux semaines sur chaque site, en quasi non stop), difficultés dans certains quartiers (exemple à Aulnay, où le programme initial n’a pas pu être bouclé, mais a produit finalement de beaux engagements inopinés)… D’autant que tout le monde n’a pas accueilli cette opération bras grands ouverts. Ainsi le maire adjoint à la culture d’Aulnay (encore), aurait-il affirmé ne pas vouloir donner un euro à ce type de projet ! Tarik, d’Aulnay, qui s’est improvisé réalisateur en remplacement de la réalisatrice qui n’avait pas pu boucler le troisième film en raison des problèmes rencontrés justement, reconnaît que l’opération a connu des déboires : « Il y a eu un peu de chaos, c’était la destruction créatrice ! Mais même sans s’aimer tous, on a fait quelque chose : le fait que les équipes restent deux semaines contribue à la cohésion ». Ibtissem Guerda, réalisatrice du projet qui s’est tourné dans le XIXème arrondissement de Paris, témoigne de même : « Quand on est réalisateur, on a une idée académique de notre travail. Là, c’est l’inverse qui se produit : tu arrives, tu rencontres des gens puis tu écris. C’est stimulant, mais c’est un challenge. Dans mon hall donne du sens à notre métier. On rencontre lors des castings dans les quartiers environ 70 personnes, chacune pendant 20 ou 40 minutes, qui ont des parcours incroyables, dans des univers très différents, avec parfois de la précarité, et parfois des choses magiques ».
 

Floppée de prix

Une journée introduite par la secrétaire d'Etat à Ville Hélène Geoffroy, qui semble avoir mis en joie les près de 200 participants, d’autant que ceux-ci pouvaient participer ensuite à des ateliers maquillage, mise en scène ou costume. A l’arrivée, pas moins de 14 prix remis, pour une sorte d’inventaire à la Prévert de récompenses (avec un jury marrainé par une doyenne de poids, Euzhan Palcy, l’auteure de « Rue case-nègre ») : prix de l’originalité (pour « Confessions canines » de Ibtissem Guerda, Paris 19ème), prix du vivre ensemble (« Entité », de Slony Sow, Chanzy), pris de l’évasion (pour « Le libre » de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh à Dervallières, vers Nantes -qui avaient déjà réalisé le remarquable « Gagarine » pour le concours Hlm sur cour(t)-), ou encore prix spécial du jury (« Jouons le jeu, d’Atisso Medessou à Sainte-Rose en Guadeloupe)… sans même parler de l’énigmatique « prix du film invisible », décerné aux habitants de Canteleu (vers Rouen) !
 

Malgré la magie du cinéma, pas sûr que l’opération soit reconduite une deuxième année. Quel dommage que les financeurs rétifs ne soient pas venus à cette rencontre du 4 mars, pour constater le dynamisme et la générosité des équipes et des habitants de tous les sites, qui s’étaient massivement déplacés, et témoignaient de leur bonheur d’être ensemble et d’avoir participé à quelque chose de plus grand que chacun d’entre eux…


*allusion au film « Confessions canines » de Ibtissem Guerda

 

 

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