
Olivier Laouchez, urban businessman

Il y a huit ans, Olivier Laouchez a lancé une chaîne de télévision consacrée aux cultures urbaines : Trace TV. En France, personne n'y croyait. Ce talentueux businessman s'est donc tourné vers les Etats-Unis. Et c'est la banque Goldman Sachs qui a avancé les billets. Portrait d'un tourbillon.
Une simple chemise blanche habille ce corps qui semble ne jamais s'arrêter de bouger. Comme chaque jour levé depuis 6h30, Olivier Laouchez se couchera vers deux heures du matin. C'est son rythme, qui ne souffre par ailleurs presque pas de vacances. Dans les bureaux de Trace TV à Clichy Garenne, lunettes de vue rectangulaires, il sert la main, accueillant, et marche d'un pas déterminé vers la salle de réunion. Deux étages montés énergiquement plus tard, nous voilà déjà en plein milieu d'un open space.
Comment l'homme en face de nous est-il passé de la direction du célèbre label Secteur A à la direction de Trace Urban, chaîne de télévision florissante ? Selon les derniers chiffres Médiamétrie, entre janvier et juin 2011, cette télé est la seconde chaîne musicale de France en terme d'audience. Devant MTV et MCM, mais derrière NRJ Hits. Un classement pour lequel le staff de la chaîne peut dire merci aux quelques 3,7 millions de spectateurs qui chaque mois leur sont fidèle.
Monter une « télévision pirate »
Le parcours de l'homme à la chemise blanche commence assez classiquement. Une enfance à la Martinique. Mère prof, père d'origine très modeste. « Mais dans ma famille tout le monde a beaucoup travaillé et plutôt bien réussi, soit en faisant des études soit en montant des boîtes», raconte-t-il avec en bruit de fond les claviers de ses employés occupés à travailler.
« Au finale j'ai grandi dans un milieu plutôt bourgeois ». Valeur du travail en héritage, il quitte la Martinique pour intégrer l’école Sup’ de Co, puis file passer deux ans en Indonésie, son diplôme dans la valise. A son retour au pays, en 1990, l'aventure de la télé peut commencer.
« J'avais toujours été intéressé par le monde de l'audiovisuel et de la communication. Au lycée déjà, j'avais crée un journal. Quand je suis retourné en Martinique, j'ai été approché par des gens qui voulaient monter une télévision pirate ».
L'homme carré
Olivier Laouchez choisit lui une voie plus carrée. Plus à son image. « Je suis allé voir le CSA. On a monté un dossier avec des banques locales et à partir de là, on a réussi à avoir une fréquence. » Antilles TV est créée en 1993.
Il reparle de cette période comme d'une école du montage de télé, dit qu'il y a presque tout appris car il fallait tout gérer. « Des problématiques d'achats de droits, de fabrication de programmes, de générations d'audiences, de gestion des publicités et du marketing… » La liste est énumérée rapidement, bien ordonnée, sans rencontrer d'obstacles.
1998. Olivier Laouchez quitte Antilles TV. On lui a proposé de prendre la tête du label Secteur A. De quoi faire tanguer ce grand ordonné habitué à du business... carré. « Au bout du deuxième mois, ils ne pouvaient déjà plus me payer », raconte-t-il en riant.
C'est aussi un changement de climat violent.
« Il faisait froid, c'était pas sympa. »
« J'étais un petit notable en Martinique, tout allait bien. Je me souviens quand je suis arrivé à Sarcelles au mois de novembre, il faisait froid, c'était pas sympa. Et puis quand je parlais, certains mecs ne me comprenaient même pas. Aux Antilles le rap, ce n'est pas un genre musical dominant, contrairement au zouk, à la salsa ou au reggae. » Bref, une forte dominante caribéenne.
Olivier Laouchez découvre ce milieu, s'y attache pour ne plus jamais le lâcher. En 2002, après s'être cogné à des portes fermées en France, il trouve enfin un investisseur pour lancer sa chaîne de télé, dédiée aux cultures urbaines. Il lui aura fallu traverser un océan car c'est la banque américaine Goldman Sachs qui investit… rien moins que près de dix millions d'euros dans son projet !
« Les américains avaient beaucoup plus en tête que les cultures urbaines sont un business. Ce n'est pas seulement un truc de jeunes des quartiers, il y a des gens pour consommer. En France, cette scène urbaine n'est pas reconnue par la plupart des grandes marques qui ont toujours une appréhension et une vision totalement dépassée. »
« Les Français sont fous »
Pas amer pour autant envers l’hexagone, Olivier Laouchez dit en riant que « les Français sont fous » et fait des constats simples. « Ici les mecs qui font du rap galèrent. Il y a un traditionalisme de la société française. Une élite très homogène contrôle l'économie et beaucoup de leviers, sans trop accepter la différence. »
La politique ne l'intéresse pas pour l'instant, il vit pour son affaire. Peut-être juste un conseil stratégique aux jeunes des quartiers qui auraient envie d'une révolution : « Il faut qu'ils viennent dans Paris s'ils veulent que ce soit vraiment efficace. » Avec une partie du management de sa chaîne, il a racheté 51% du capital de Trace à Goldman Sachs. Sinon, il lance de nouvelles chaînes en permanence, et a aussi décidé de faire sans les obtus de Français. « On fait 65% de notre chiffre d'affaire hors de France. »
Il dit qu'il est heureux, s'estime même privilégié, mais aussi « éternellement insatisfait ». Rêve de projets de fictions, d'une série « Racines » à la française pour qu'enfin les Français connaissent leur histoire, celle du colonialisme entre autres.
Renée Greusard