Nafissatou Diallo vs Barack Obama

Le 17-06-2011
Par xadmin

Stupeur et grand chambardement. Cela aurait pu être le titre du feuilleton médiatico-juridique qui anime le village global. L’affaire DSK, si pour le moment ne dit pas grand-chose sur les faits survenus le 14 mai dernier, propulse l’Amérique d’Obama au rang de défenseur de la veuve et de l’orphelin. Attention image frelatée.

Il y a dans la chute du directeur du FMI une métaphore que les story-tellers reprendront à l’unisson pour imposer l’amour des USA au reste du monde. Ni la liberté et la démocratie promises aux Afghans et aux Irakiens, ne viendront entacher la fable qui se construit actuellement à Manhattan. Il est vrai que depuis la vieille Europe, voir un maître du monde menotté, conduit en prison et déféré devant un tribunal comme un vulgaire criminel de droit commun, le tout sous le crépitement des flashs et des projecteurs, est inhabituel... même pour un pays qui a fait une révolution. Beaucoup s’en sont émus jusqu’à oublier Nafissatou Diallo, icône invisible incarnant tour à tour, la cause des femmes, l’exploitation des noirs, le tertiaire précarisé, les banlieues du monde… Avec un sens hollywoodien du spectacle, les médias se fascinent de ce système judiciaire étasunien qui n’hésite pas à bousculer les hiérarchies, dompter les puissants, protéger les faibles et mettre la loi au-dessus de tous. Il y a comme une promesse dans cette mise en scène à laquelle on ne peut être insensible lorsqu’on habite les périphéries.

Pour tout spectateur averti de séries américaines, il est permis de douter de cette justice qui fabrique des millions de détenus largement issus des populations pauvres et des minorités ethniques, qui favorise ceux ayant les moyens de se payer les avocats vedettes et leurs escouades d’enquêteurs, qui délivre avec frénésie ses peines plancher et qui marchande le blanchiment des uns et la réparation des autres à coup de négociations chiffrées en dollars.

Malgré ces travers, c’est ce type de justice qui tend à s’imposer en France. Les lois Perben, la réforme de la justice des mineurs, la mise au pas du juge d’instruction, le populisme pénal du président de la République et cette tolérance zéro que tambourine le gouvernement, sont autant d’explications à la surpopulation pénale et à la surchauffe carcérale qui pourrait bien secouer la France durant les torpeurs estivales. Un activisme inversement proportionnel à la répression de la criminalité en col blanc qui se contentera de slogans comme « moraliser les affaires » pour toute application. C’est cette justice américanisée, adepte de la punition et de l’exemple, qui s’abat sur les banlieues à mesure que la justice sociale s’y délite.

De Douze hommes en colère à l’affaire DSK, jamais une justice aussi imparfaite ne s’était autant mise en scène avec un sens inégalé du happy end. Le marathon judiciaire entamé par Nafissatou Diallo pourrait aussi se terminer par une de ces chausses trappes judiciaires qui voilerait la vérité sur les faits incriminés au profit d’un contrat secret entre les parties et scellé par la toute puissance du billet vert. L’exercice de la justice aux Etats-Unis s’accommode mal de la justice sociale, et l’élection d’un noir à la Maison Blanche n’est assurément pas un happy-end à l’histoire conflictuelle qu’entretien l’Oncle Sam avec ses pauvres et ses minorités.

Farid Mebarki, président de Presse & Cité

 

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