Morts pour rien…

Le 10-06-2011
Par xadmin

Il aura suffit de deux semaines pour blanchir le football français de sa tentation raciste. Un rapport d’inspection bouclé en une semaine, une conférence de presse de la ministre des sports, quelques mises à l’écart et des témoignages de soutien, auront suffi pour blanchir le bien nommé Laurent Blanc. Les échéances sportives et aussi peut-être électorales, auront largement pesé dans la manière d’évacuer le soupçon et d’éviter une procédure judiciaire susceptible de mettre à jour des idées, sinon des pratiques, inavouables dans le fonctionnement de la fédération française de football. À part une confusion dans le langage, circulez il n’y a rien à voir ! L’édification des consciences d’un peuple qui commence à confondre dangereusement la lutte contre les discriminations avec l’excès de politiquement correct, ne passera pas, là aussi, par l’institution judiciaire.

Si la France s’avoue timidement qu’il existe sur son sol semé de principes républicains des discriminations massives, ce n’est ni par la qualité des travaux d’universitaires comme Philippe Bataille ou Georges Felouzis, ni par la création/dissolution de la Halde, ni par le débat mort-né sur les statistiques ethniques, ni encore par les concerts sur les esplanades que s’acharnent toujours à organiser certaines associations antiracistes. C’est davantage avec l’implosion spectaculaire des banlieues françaises après le décès tragique de deux adolescents et l’hospitalisation d’un troisième le 27 octobre 2005, que l’hexagone doute ouvertement de son modèle d’intégration. Tous se souviennent, mais manifestement beaucoup ne comprennent toujours pas.

Cet évènement qui marque irréfutablement l’entrée de la France dans les défis du 21ème siècle, se solde finalement par un non-lieu. Le 27 avril dernier, la cour d’appel de Paris a effectivement disculpé les policiers mis en cause dans la mort de Zyed et Bouna. Un éditorial dans le Monde, quelques échos ici et là et l’actu en chasse une autre. Aucun des politiques qui se ruent aujourd’hui pour débattre, pester ou comprendre la déferlante DSK, n’aura manifesté une quelconque velléité pour que cette décision prenne une autre dimension qu’un verdict parmi tant d’autres à la décharge de l’institution policière. Et pourtant, l’ampleur de la crise de l’automne 2005 avec ses 300 communes touchées, ses 10346 véhicules incendiés, ses 6056 interpellations, ses 5643 gardés à vue, ses 1328 personnes écrouées et ses 224 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers blessés, appelait à l’identification de responsabilités. En prononçant un non-lieu, malgré les éléments accablants relevés par le rapport de l’inspection générale des services de police et l’ordonnance des juges d’instruction du tribunal de Bobigny, la justice avoue une fois de trop son incapacité, sinon sa mansuétude coupable à l’endroit des bavures policières. Même si les familles représentées par Maître Mignard comptent se pourvoir en cassation, c’est avec une âpre résignation que la décision est accueillie en banlieue.

Dans les quartiers populaires, si on sait que les discriminations participent d’une forme d’élimination sociale, on sait aussi qu’elles peuvent aller jusqu’à l’élimination physique. Les excès de zèle dans les contrôles d’identité ou les interpellations musclées de jeunes, trouvent un terreau fertile dans ces mesures sécuritaires sévissant en banlieue. Politiques d’exception déguisées qui charrient des pratiques discriminatoires, des propos outranciers et parfois des convictions racistes. Le déni de cette réalité par la justice et l’impunité qu’elle accorde avec largesse et de manière quasi systématique aux policiers incriminés, aura en banlieue toujours plus de retentissement que les valeurs gravées aux frontispices de la République.
Le verdict d’avril dernier, qu’il soit d’inspiration élyséenne ou pas, est un franc crachat jeté sur la mémoire de Zyed Benna, Bouna Traoré, mais aussi de Laramy Soumaré, Moushin Sehhouli, Hakim Ajimi, Ali Ziri, Naguib Toubache, Hakim Djelassi, Mickaël Cohen, Lamine Dieng, Mahamadou Marega, Abou Bakari Tandia, Reda Semmoudi, Yakou Sanogo, Baba Traoré, Féthi Traoré et de malheureusement tant d’autres. Ni l’ampleur des évènements de l’automne 2005, ni le marathon judiciaire des familles de Clichy-sous-Bois, ne semblent faire vaciller cette ligne Maginot niant les responsabilités et les écarts de la police dans sa mission de maintien de l’ordre.

Quel est ce mal qui veut qu’une institution chargée de la sécurité et qu’une autre chargée de la justice, déraillent avec une telle constance sans que rien ne soit envisagé ? Comme pour la fédération de football, le logement ou le travail, il est désormais admis de constater les discriminations sans envisager de les combattre autrement que par la seule dénonciation ; comme si le bêlement des chèvres allait mater le loup. Qu’un collectif d’avocats se soit engagé dans un combat visant à faire reconnaître la nature discriminante des contrôles d’identité effectués par de police avec le soutien moral et financier de l’Open Society, la fondation américaine de Georges Soros, en dit long sur la paralysie de la République.
Même fissurées par les critiques et les études universitaires, les pratiques discriminatoires tiennent faute de mobilisation politique et institutionnelle à la hauteur du péril. Elles tendent même à se colmater depuis qu’une parole xénophobe se pavane au plus haut sommet de l’État ; gangrénant davantage l’opinion publique qu’il ne l’indigne. L’accélération du calendrier électoral, les thèmes médiatiques imposés par Marine Le Pen et les derniers soubresauts du débat sécuritaire lorgnant périlleusement du côté d’une militarisation du maintien de l’ordre dans les banlieues, augurent une évacuation pure et simple de la question des discriminations dans la course à la présidentielle. Il est même probable que de nouveau la droite, forte de sa pratique pusillanime et contrariée de la discrimination positive, arrive encore une fois à ringardiser la gauche. Et qu’importe si une secrétaire d’État se fait insulter de bougnoule dans un meeting de l’UMP. Ils n’en sont plus à une contradiction près…

La lutte contre les discriminations et les bavures policières ne constituent pas un thème électoral pour la gauche qui ne se pense qu’à travers une classe moyenne sublimée. Ses partis politiques ne portent pas ces enjeux, ils restent tributaires de l’engagement solitaire, parfois jusqu’à l’épuisement, d’individus ; Olivier Besancenot, Alima Boumediene-Thiery, Gilles Poux, Christiane Taubira… La gauche mise davantage sur la rente électorale d’une classe moyenne peu touchée par ces réalités plutôt que d’essayer de créer le sursaut auprès des quartiers populaires, des descendants d’immigrés et des jeunes. Acteurs ulcérés par le racisme et les discriminations mais en proie à une forme d’intermittence électorale faute de propositions fortes. La gauche se prive ici d’un formidable carburant pour son renouvellement à un moment où ce qui reste de la droite républicaine et l’extrême droite, braconnent ouvertement sur ses terres électorales attirant à eux des pans entiers d’électeurs si désespérés qu’ils succombent à la partition du repli identitaire, de l’ordre et de la traque aux assistés.

« S'ils rentrent sur le site [EDF], je ne donne pas cher de leur peau », c’est par cette phrase issue des transmissions radios qu’un des policiers incriminés dans la mort des adolescents de Clichy-sous-Bois, commentait la situation. Depuis des décennies, c’est avec la même morgue que politiques et institutions observent les ravages créés par les discriminations sans les contrer par des alternatives sérieuses et radicales. A quand l’acte d’accusation pour non-assistance à peuple en danger ?

Farid Mebarki, président de Presse & Cité

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