
Mohamed Mechmache, « On a redonné la parole aux gens ! »

Il a été l’un des rares leader à avoir émergé suite aux émeutes de 2005, avec un seul but, en tête : faire accoucher une parole, celle d’une génération qui ne trouvait pas ses mots. Et porter cette parole au plus haut niveau de l’Etat. Avec l’espoir que la politique sert encore à quelque chose, et que sans elle, c’est le feu. A-t-il vraiment été entendu depuis dix ans ? Son parcours parle pour lui.
P&C : Les émeutiers de 2005 n’avaient pas de leader, ni de revendication, ni de programme. Votre but était de leur en donner…
M. M. : Les révoltes étaient dans la continuité de ce qu'on vivait depuis trente ans. Il y avait un sentiment d'injustice, de colère enfouis. Personne n'avait pris la mesure de ce que disaient alors les lanceurs d'alerte. Toutes les structures censées créer du lien et encadrer la jeunesse fermaient leur porte ! Nous, on a essayé de politiser ces événements, parce que quand on a entendu « démission des parents », « polygamie », « rap » dans les médias, on a dit : « vous vous trompez ! Il y a un message, même si les individus qui ont fait ça n’avaient pas de culture politique. Mais c’est vrai que quand c’est spontané, tu n’as pas de prise… Tous les partis révolutionnaires ont raté l’occasion de leur vie ! Ils ont eu peur eux aussi ! Nous, on n’a été soutenu que par des petits entrepreneurs qui nous ont prêté un bus et par une association de Saint-Ouen, l'ANCP (Association nationale pour la citoyenneté et la prévention) ! On l'a fait avec nos propres deniers ! On a redonné la parole aux gens ! On a fait un tour de France, proposé des solutions, réveillé les consciences ! On voulait prendre en main notre destin !
P&C : Comment cette parole tardive a-t-elle été reçue ?
M. M. : Dire comme Manuel Valls début 2015, « 2005, qui s’en souvient ? », c’est grave ! Mais c’est vrai que quand on s’est présenté à l'Assemblée nationale avec les cahiers de doléances en 2005 pour être reçus par l’ensemble des parlementaires, l’ensemble des partis [après six mois de tour de France de son association Ac ! Lefeu pour recueillir la parole des habitants des quartiers, Ndlr], on a trouvé porte close. Jean-Louis Debré, le président de l’Assemblée, nous a dit : « laissez vos cahiers au gardien ! » On a bien été reçus par Noël Mamère (député maire de Bègles), par Pierre Cardo (maire de Chanteloup-les-Vignes), On s'est dit qu'il fallait qu'on s'organise pour que notre problème devienne leur problème ! Qu’on s'inscrive sur les listes électorales. Après, voter, ok, mais pour qui ? Les élus ne nous représentent pas ! On explique alors qu'il faut arrêter d'être spectateur, et devenir acteur ! Les habitants ne veulent plus seulement être des électeurs, ils veulent aussi être la solution !
P&C : Depuis, vous vous êtes engagé en politique
M. M. : Oui, d’abord à Montfermeil, face à Eric Raoult, on n’a pas été ridicules, on a fait près de 14% ; et à Noisy notamment, on a pu obtenir un groupe en 2008. etre dans un parti ou pas, c’est pas la question. La question, s'est de se former, d'être autour de la table. Il faut constituer des groupes pour peser, avoir une tribune. Il ne faut pas négocier des postes mais des groupes, comme avec notre liste « Affirmation ! » à Clichy-sous-bois. L’important est de ne pas être seul : ceux qui parlent d’autonomie tout le temps ne sont plus sur la scène politique ! Certains se sont constitué de manière autonome, puis ont été s’asseoir avec des listes de droite [on pense à Bobigny par exemple, Ndlr]. Quand il y aura des sujets graves, auront-ils la force et le courage de se faire entendre et de peser ? Et puis il y a ceux qui ne sont plus sur le terrain et qui ont des milliers d’amis Facebook. Autour de quelles valeurs ? C’est seulement des postes et des postures ! La gauche n’a pas su faire. Lagarde, à Drancy, a même des femmes voilées comme élues ! La gauche a cru que tous les habitants des quartiers leur étaient acquis. Mais les habitants ne veulent plus être que des électeurs, ils sont aussi la solution ! Et pour EELV [dont Mohamed Mechmache est tête de liste pour les Régionales de 2015, après avoir été sur une liste EELV pour les Européennes de 2014, Ndlr], je n’y suis pas encarté. Ils nous ont dit « Il y a des sujets qu’on ne sait pas traiter. On vous offre une tribune pour porter vos idées ». EELV a du respect pour la société civile.
P&C : Vous avez ensuite monté la Coordination « Pas sans nous », un syndicat d’associations de banlieues, après un nouveau tout de France et le rapport remis avec Marie-Hélène Bacqué
M. M. : Les quartiers prioritaires, ce n’est pas la priorité du gouvernement. Quatre ministres de la ville en trois ans, ce n’est pas un signe fort… Ce syndicat, regroupant 168 associations à l’AG de Nantes [en septembre 2014, Ndlr] c’est aussi de la politique, pour améliorer les conditions de vie. Il faut pouvoir discuter des réformes de la Politique de la ville. On veut remettre du sens et redonner du pouvoir aux habitants. On a travaillé sur la loi-cadre sur les Conseils citoyens. On a mis en place un comité de veille de ces conseils. Et puisqu’il y a une loi, si ça ne va pas, on saisira le Conseil d’Etat. On est en train de faire une cartographie de ces conseils : ils ne sont pas dans les clous. Pour ceux qui font ça sérieusement, ça sera une brèche, pour les autres, ça sera un leurre.