
L'urgence à donner voix aux jeunes

Thibaut Renaudin, directeur de publication de La Zep, un dispositif média lié à l’Afev (Association fondation étudiante pour la ville) qui permet aux jeunes de se raconter, nous livre sa vision des nouvelles formes d’engagement qui émergent dans la jeunesse.
A partir de quel constat est née La Zep ?
Juste après l'élection présidentielle de 2012, on s'est dit que si les jeunes étaient peu reconnus par la société c'était d'abord parce qu'ils n'étaient pas connus, qu'on ne sait pas grand chose sur eux. Il fallait inventer quelque chose pour y remédier. Créer un média qui puisse être au service de la parole des jeunes pour qu’ils puissent s'exprimer et témoigner de ce qu'ils vivaient et ressentaient dans la société d'aujourd'hui. Quand on voit ce que la société leur réserve : un taux de chômage affolant, des sorties de scolarité sans diplômes, des difficultés pour se loger, une représentativité minorée... Le tout combiné à une image déformée, celle d'une génération "selfie", égoïste, individualiste, alors que dans la réalité, les jeunes Français sont par exemple en Europe, avec les jeunes Islandais, ceux qui s'engagent le plus dans la solidarité. Il y avait donc urgence à participer à changer cette image.
Comment l'outil media peut-il susciter un éveil à la citoyenneté ?
Naturellement, la presse est un vecteur d’information. Encore plus avec le web aujourd'hui. On s'est dit que c'est par là qu'il fallait aller. Ce dont on se rend compte c'est qu'il existe aujourd'hui une foison d'initiatives, de jeunes ou pas d'ailleurs, sur des thématiques différentes avec des formes très différentes. La difficulté que nous avons c'est comment relier tout ça. Comment on arrive à donner sens à ces initiatives. L'outil média est l'un des moyens. On n'est pas en déficit d’engagement dans notre pays, loin s'en faut. Les gens s’engagent beaucoup. Après, la question est : comment traduire ces engagements individuels dans une démarche collective ? C'est la grande question. Notre média s'il n'a pas vocation à promouvoir en tant que tel l'engagement ou à proposer une nouvelle forme d’engagement, est là pour mettre en lumière les voix de ceux que l'on entend rarement. Ce qui m'émeut toujours c'est le témoignage de gens qui se sentent vraiment à la marge. Un sondage tout récent indique que 66% des jeunes se sentent mis à l'écart de la société alors qu’ils sont 80% à se sentir plutôt heureux dans leur vie professionnelle. C'est la société du bonheur individuel et du malheur public. Le décalage de leur vie par rapport à l'image que l'on a d'eux ou de la situation dans laquelle ils sont que ce soit sur des questions économiques, d'identité sexuelle, d'aspiration professionnelle, de parcours d'étude, d'identité religieuse... Il y a là une grande solitude et une souffrance très profonde.
Pourquoi au fond les jeunes n'ont-ils pas voix au chapitre ?
Il y a plusieurs phénomènes. D'une part, les générations les plus anciennes se méfient toujours de la génération qui arrive. C'est un phénomène aussi vieux que l'humanité. Socrate disait déjà dans l'Antiquité ce genre de conneries. Et d'autre part, notre société est percutée par la révolution numérique. Cette nouvelle révolution qui revoit tous les fondements de notre société alors que la partie la plus jeune de la population n'a pas vécu autre chose que cette société. Cela opère un décalage fort avec la génération précédente. Enfin, nous sommes dans une situation de crise, de changement de société qui crée des tensions, des inégalités, des états anxiogènes qui touchent d’abord les plus faibles. Et les jeunes font naturellement partie de ces plus faibles. On est aussi une société de râleurs qui a un regard sur sa jeunesse qui a toujours été difficile. Une société hiérarchique, paternaliste, condescendante, compétitive... On leur colle du coup beaucoup d'idées reçues.