
Logement : « Si on comptait que sur leur bon vouloir, il ne se passerait pas grand chose »

Le logement, c’est souvent des projets énormes : l’expertise technique des cabinets de conseil, les spécialistes de l’urbanisme et les architectes patentés éloigne les habitants de leurs réflexions. Pourtant, parfois, les habitants s’imposent. Témoignages à Toulouse.
Contre la résidentialisation : « nous avons réussi à faire plier la mairie ! »
Paolo (Collectif place du Morvan-Bagatelle, Toulouse)
Ce projet devait nous mettre en sécurité, c'était 2006, quelques mois après les émeutes, et Patrimoine* avait édité une plaquette qui disait : « pour vous permettre d'avoir vos voitures et vous même en sécurité, nous allons vous mettre des grilles ». Dans le bâtiment où j'habite, qui doit être « résidentialisé », il faut savoir qu'il y a déjà deux portes d'accès ; donc ils nous ont mis une troisième porte pour nous mettre en sécurité totale, là on était blindés ! Lors de la présentation du projet, nous étions quelques locataires dans la salle, nous nous sommes levés et nous avons dit que nous n'étions pas d'accord là-dessus. Nous nous sommes organisés en un comité : le comité des résidents de la place du Morvan. Deux années de lutte pendant lesquelles nous avons fait des pétitions, des réunions... Après de nombreuses démarches auprès de la mairie nous avons réussi à faire plier, à faire arrêter ce projet avec ces grilles qui nous donnaient l'impression que nous étions en danger.
« Le Grand projet de ville à Toulouse a fauché de plein fouet le quartier de Bagatelle. »
Brigitte (Collectif place du Morvan-Bagatelle, Toulouse)
Paolo permets-moi de te dire que tu t'es planté gravement ! Nous n'avons pas lutté pendant deux ans mais de 2005 jusqu'à ce que la place soit faite, c’est-à-dire 2010. On n'a pas lâché le morceau pendant plus de quatre ans et on est sans arrêt revenu à l'attaque avec des rendez-vous auprès des bailleurs en leur indiquant précisément ce que nous désirions. Le Grand projet de ville à Toulouse a fauché de plein fouet le quartier de Bagatelle. Tout le quartier a subi deux tiers de démolition. En tout, on n'est pas loin de 400 familles autour de la place, sur 400 familles, si on est arrivé à être 10 dans ce comité de résidents, c'est bien le grand maximum ! Nous avons une population de gens de plus de 80 ans, ce qui explique aussi le manque d'implication de ces gens-là…
200 employés de mairie, de droite à l'époque, arriver et complètement saboter notre première réunion.
« On ne nous a pas relogé ! On s'est démerdé comme on a pu. »
Jean-François Grelier (Cité du Parc, Toulouse)
Je passe directement au 21 septembre 2001, l'explosion de l'usine AZF. Le quart de la ville a été dévasté, moi je me suis retrouvé à l’hôpital, entre la vie et la mort. L'essentiel de la protestation s'est organisé autour de la question du risque industriel avec le collectif « Plus jamais ça », né au lendemain de l'explosion, c'est par ailleurs des copains, mais on ne parlait que de ça. La ville a interdit d'habitation le bâtiment où j'étais, on s'est retrouvé plus d'une centaine de familles dans des hébergements provisoires. Ce qui a été décidé, c'est que chaque sinistré devait monter un dossier pour signer un accord à l'amiable avec Total. Et ça nous paraissait injuste parce que tous les sinistrés n'avaient pas du tout les mêmes capacités ou compétences pour défendre son dossier en face des professionnels de Total. On s'est employé à construire un mouvement. Ca nous a pris 50 jours. On a appelé à une assemblée générale et là, on a vu à notre grande surprise 200 employés de mairie, de droite à l'époque, arriver et complètement saboter notre première réunion. 50 jours après l'explosion, on a réussi à faire une grosse réunion. C'est d'ailleurs « les Motivés » qui nous ont prêté le chapiteau, et donc on a eu près de 1000 personnes. On a pu affirmer à l'opinion que certes, il y avait un problème de risque industriel et qu'il fallait une bonne loi pour que ça se reproduise plus, mon œil, mais qu'il y avait aussi 50 000 personnes qui étaient à la rue, qui n'avaient plus de fenêtres. A partir de là, le comité est né et a vécu pendant un an. C'est grâce à nous qu'a été posé gratuitement le fameux « provisoire durable » pour les sinistrés. Ensuite on a obtenu que les sur-facturations de gaz et de chauffage nous soient remboursées. Je le dis ici, on ne nous a pas relogé ! On s'est démerdé comme on a pu. C'étaient des habitants, j'étais le seul militant politisé d'avant l'explosion de l'usine AZF. Entre nous sont restés des liens très très forts.
« Si on comptait que sur leur bon vouloir, il se passerait pas grand chose. Il faut toujours les embêter ! »
Khalid (Petit-Bard, Montpellier)
En juillet 2004, suite à un incendie dans une cage d'escalier, une personne a trouvé la mort : Houcine El Ouamari. Il y a eu une forte mobilisation qui a duré plus de 40 jours, la première revendication des habitants était le respect de la mémoire du mort, et le relogement de la cage d'escalier sinistrée par l'incendie. Pendant 40 jours ils ont occupé un gymnase, personne n'est venu les voir. Cette lutte a été menée par des anciens, à l'image des chibanis sur Toulouse pour les droits sociaux. Ils se sont invités à plusieurs conseils municipaux, ils ont bloqué le tour de France etc... Au bout de 15 jours, une délégation de ces habitants a été reçue au ministère du Logement, sous monsieur Marc-Philippe Daubresse. 15 jours après le ministre en personne descendait sur le quartier. 2005, une première convention de rénovation urbaine est signée. Les pouvoirs publics locaux mettent en place une espèce de comité de pilotage aménageur qui ressemble un peu à... rien, qui était censé gérer l'opération de rénovation urbaine dans son ensemble. Au bout de deux ans, Georges Frêche, l'ancien maire et l'ancien tout de Montpellier, a décidé de le bazarder en disant que le Groupement d'intérêt économique ne sert à rien. Ca a coûté plus de 2 millions d'euros. En 2008, ils ont même pas tombé deux cages d'escalier sur la barre. Un nouvel incendie s'est propagé dans le même bâtiment en 2010, les familles, par rapport au précédent incendie de 2004, ont été terrorisées, donc elles sont parties occuper l'aménageur (un grand local de 200m² qui abrite une société d'économie mixte qui gère la rénovation urbaine du quartier). Les autorités croyaient que ça allait durer une semaine, ça a duré un mois et demi. On a eu des articles sur les médias locaux et nationaux, il y a eu des articles sur Libération etc... et, en l'espace de trois mois, les bailleurs sociaux ont relogé 27 familles. Depuis 2004, il y a un rapport de force qui s'est établi. Les habitants s'invitent en mairie, sont reçus par le cabinet, par le maire en personne. Si on comptait que sur leur bon vouloir, il se passerait pas grand chose. On est dans une dynamique où il faut toujours les embêter, les emmerder !
COUAC / P&C
*Entreprise Sociale de Référence en Midi-Pyrénées, Patrimoine SA développe une offre de logements en locatif ou en accession à la propriété.