
« L’espoir s’est effondré »

Après 10 années de procédure, le verdict rendu ce 18 mai par le tribunal correctionnel de Rennes sonne comme un mauvais uppercut au visage des banlieues. Groggy et désormais K-O, leurs habitants étaient appelés à manifester pacifiquement le soir du verdict devant les principaux tribunaux de France. A Bobigny, le regroupement disait beaucoup de l’épuisement qui semble s’installer dans les quartiers.
Sur l’esplanade suspendue au-dessus de la nationale 186 donnant accès au tribunal, les baffles crachent poussivement les rimes du groupe la Rumeur sur quelques centaines de personnes. A l’appel du Collectif Contre le Contrôle au Faciès, des acteurs associatifs et des citoyens se sont amassées sur cette improbable canopée. Un élément assez nouveau ne manque pas d’interpeller les (malheureusement) habitués de ces regroupements : la quasi-absence des militants historiques des luttes contre les bavures policières, anciens du MIB ou du FSQP qui ont tant contribué à faire reconnaître comme des faits politiques ce que beaucoup considéraient comme d'inintéressants faits divers. Beaucoup de militants d’extrême gauche parfois très jeunes et reconnaissables à leur sac à dos, arpentent la dalle en distribuant des affiches pour les prochaines manifestations, notamment celle prévue en mémoire de Clément Méric… Ou l’éternelle tentative de « relier les luttes ».
Bloggeurs coupés du monde présent
Balla Fofana, membre de la rédaction du Bondy Blog venu très tôt, raconte comment les journalistes étaient surreprésentés au début du regroupement. Il est vrai que les caméras de ITélé, de BFM, de France 3 et de plusieurs titres alternatifs, ne cessent de capter les témoignages… ou de guetter un nouvel embrasement. Quelques artistes sont également présents parmi la foule : Disiz la Peste, D’de Kabal, Saïdou du Ministère des Affaires Populaires. Même Rost, rappeur soutien de François Hollande et désormais membre du Conseil économique social et environnemental, se mêle aux manifestants. Plusieurs jeunes dont on ne sait s’ils sont des journalistes ou des citoyens œuvrant pour leur blog, leur réseau social ou leur rédaction, tapotent frénétiquement sur leur téléphone, coupés du monde et des groupes de discussion qui se forment ; entièrement voués à nourrir Facebook ou Tweeter.
Où sont les amis trentenaires de Zyed et Bouna ?
L’agora où désormais on se bouscule, attend ses orateurs. Où sont les amis de Zyed et Bouna aujourd’hui presque trentenaires ? Certainement loin de ce rassemblement où même un buffet a été prévu pour sustenter les estomacs chagrins incapables de se nouer en ce jour de défaite cinglante pour les habitants des quartiers populaires et les enfants de l’immigration. Sihame Assbague, figure de proue du Collectif contre le contrôle au faciès s’affaire à saluer les militants, compagnons de route de cette décennie de lutte marquée par ces politiques d’exception qui enserrent les banlieues et les inévitables drames qu’elles charrient. Revenue de Rennes les traits tirés et le regard noir, Amel Betounsi du collectif Urgence Notre police assassine, exprime sa colère avec une voix proche de la rupture : « L’espoir s’est effondré ». Toutes les familles ayant traversé le calvaire de celles de Zyed et Bouna auraient pu à travers un jugement autre atténuer leur peine et espérer pour celles qui sont encore sous le feu d’une procédure.
Les visages des deux adolescents de Clichy placardé partout, nous rappellent qu’ils n’étaient que des enfants. Des enfants poursuivis pour rien par la Police. Des enfants salis par le ministre de l’Intérieur de l’époque. Des enfants que le rapport accablant de l’inspection générale des services de police et l’ordonnance courageuse des juges d’instruction du tribunal de Bobigny, ont défendus. Des enfants enfin qui ne pouvaient être abandonnés. La Justice en a décidé autrement.
Au bas de la passerelle, couverte par une sono stridente, une voix appelle au secours. Celle d’une jeune femme qui s’élance à la poursuite de trois gamins qui viennent de lui arracher son sac. Le plus vieux n’a pas 14 ans. Mais que fait la police ?!