«  Les jardins créoles, une alternative à la vie chère pour les martiniquais »

Le 24-09-2012
Par Dounia Ben Mohamed

Garcin Malsa est le maire, écologiste et indépendantiste, de Sainte-Anne, en Martinique. Il appelle à revenir aux traditionnels jardins créoles, qui ont naguère structuré l’économie locale avant de tomber en désuétude avec l’arrivée de la grande distribution.

 
Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste le jardin créole et dans quelle mesure il a, jusqu’à une période récente, assuré la subsistance des populations locales ? 
 
Le concept de jardin créole est profondément lié à l’histoire de la Martinique. Il est le fruit d’une vision écologique, résultat de toutes les influences culturelles qui ont traversé la Martinique : africaine, amérindienne, et plus tard asiatique avec les populations arrivées d’Inde. Le jardin créole traduit cela. Les jardins créoles ont toujours été une source de subsistance pour les peuples. De plus en plus, il ne nous a pas échappé, même si nous avançons dans la modernité, qu’il est impératif de préserver les jardins créoles, tant pour leur richesse culturelle que d’un point de vue économique et social. Et écologique bien entendu. On est bien avant Rio + 20 dans ce qu’on appelle le développement social et solidaire. Nous avons, au niveau de la mairie de Sainte-Anne, à notre arrivée en 1989 en tant qu’écologistes, cherché à revaloriser le concept de jardin créole au niveau de la commune, et au-delà, en Martinique.
 
Justement, comment expliquer que les jardins créoles soient tombés en désuétude ? Est-ce l’arrivée de la grande distribution et les nouvelles habitudes de consommation qu’elles ont entraînées ?
 
C’est tout à fait cela. Avec l’arrivée des grandes surfaces, dans les années 60 et jusqu’aux années 90, pris par le feu du productivisme, du néolibéralisme, les populations martiniquaises ont cru à un progrès. Petit à petit, ils ont délaissé les jardins créoles. Puis un retournement s’est opéré au cours des années 90 avec la montée des écologistes et des environnementalistes. Il fallait arrêter cette progression mortifère de produit venus de l’étranger avec des éléments dangereux pour la santé qui entraînent sur les populations l’apparition de maladies cardio-vasculaire, l’obésité, le diabète, etc…L’association de sauvegarde du patrimoine martiniquais dont je suis le fondateur a initié un retournement de la situation en revenant au jardin créole. 
 
A Sainte-Anne nous exhortons toujours la population à produire et manger local. « Il faut manger ce que nous cultivons et cultiver ce que nous mangeons ». J’entends dire qu’on ne peut pas à partir de la culture biologique et raisonnée nourrir le pays. C’est faux. Ce qu’il faut changer ce sont les comportements, la manière de produire, sans pesticides, et la manière de consommer.
 
A la suite des émeutes de 2009 en Guadeloupe, provoquées par la montée de la vie chère, il a été question de revenir aux jardins créoles, perçus comme un moyen de lutter contre l’explosion du coût de la vie et les prix exorbitants imposés par la grande distribution, en situation de monopole. Dans quelle mesure, politiques et syndicalistes ont-ils suivi dans ce sens ? 
 
Il y a eu une prise de conscience bien avant le mouvement social de février-mars 2009, dès les années 90. Lors du mouvement, dans toutes les bouches, on n’entendait parler que des jardins créoles. Que c’était une folie de les avoir abandonnés et qu’il fallait d’urgence y retourner. Mais entre ce qui est dit pendant un mouvement social très fort et la suite, il y a un fossé. Les consciences n’étaient pas suffisamment mûres, le pouvoir politique pas suffisamment percutant, il était même plutôt timoré. On a vu alors, alors que la demande de jardins créoles était réelle, une pause dans le mouvement qui a permis à la grande distribution de repartir. Nous avons manqué une belle occasion par manque de vision globale de la part de nos dirigeants politiques et syndicaux et même des responsables associatifs. Ils n’ont pas pu faire implanter fortement et durablement les jardins créoles comme alternative pour le peuple martiniquais. Et de toute façon, de plus en plus les gens se rendent compte, avec la question de la vie chère, qu’il faut absolument s’organiser pour que les jardins créoles dont on parle de plus en plus, qui existent dans les consciences, prolifèrent. Ils constituent une réelle alternative. Et cela est possible. Moi, je m’y attache dans ma commune. Un centre de l’écologie et du développement durable a été créé, il porte une série de projets de développement durable et solidaire, dont la mise en place d’une pépinière qui va promotionner tout ce qui est culture du manioc, et culture vivrière (igname, gombo, bananes créoles, etc.). Cela va  permettre aux gens de se réapproprier tous les produits issus du pays. A Sainte-Anne nous exhortons toujours la population à produire et manger local. « Il faut manger ce que nous cultivons et cultiver ce que nous mangeons ». Les gens y sont de plus en plus sensibles. Chacun essaie de trouver un petit bout de terre près de chez lui. J’entends dire qu’on ne peut pas à partir de la culture biologique et raisonnée nourrir le pays. C’est faux. Ce qu’il faut changer ce sont les comportements, la manière de produire, sans pesticides, et la manière de consommer. Il faut déconstruire les habitudes alimentaires telles qu’elles se sont imposées dans les sociétés occidentales. Le jardin créole permet de poser la question du mieux-être au lieu du mieux avoir.
 
 
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
 
 
 

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