Les Etats-Unis veulent faire rêver les banlieues

Le 11-09-2009
Par xadmin

Projets culturel, voyage d’échange : l’implication des Etats-Unis auprès des jeunes de quartiers en France s’intensifie depuis les émeutes de 2005. Un intérêt qui suscite enthousiasme et critiques.

Drague ou initiative désintéressée ?
Après plusieurs mois de travail, les habitants de Villiers-le-Bel, Bondy et Bagnolet vont enfin profiter de leur œuvre. Un mur géant, peint et décoré avec l’aide d’artistes de Philadelphie, venus diriger les travaux aux côtés des associations locales. Ce projet est l’un des derniers en date de l’ambassade des Etats-Unis dans les cités de France. Depuis les émeutes de 2005, les américains multiplient les actions culturelles afin de s’approcher des jeunes de quartier et en particulier des élites. Drague ou initiative désintéressée, le sujet fait débat.

« Nous cherchons seulement à nous rapprocher de la nouvelle génération, talentueuse et énergique», tranche Randianina Peccoud, chargée de la société civile au sein du service culturel de l’ambassade. « Les jeunes français sont issus de la diversité, comme les jeunes américains. Nous nous impliquons avec eux dans des projets significatifs, pour nouer le dialogue ».

Ca ne se refuse pas
Soutien d’un groupe de musique, réceptions, projets extravagants ou soutien financier direct : l’implication américaine dans les quartiers prend toutes les formes. En filigrane de ces actions, l’ambassade vante les aspects positifs d’une société où tout est faisable, à condition de s’en donner les moyens. Vu sous cet angle, les Etats-Unis d’Obama ne laissent pas les jeunes indifférents. Surtout les diplômés. « C’est l’Eldorado », lâche Ritchie M’Bala, habitant de Limay, qui avec son bac+2 et son expérience de journaliste, a peiné pour trouver un emploi dans une association locale. «Il y a plus de tolérance et on est reconnu pour nos qualités professionnelles. Beaucoup de mes amis y sont allés et à 95%, j’ai eu des échos positifs. Si on me propose quelque chose, j’y cours. Ca ne se refuse pas ».

Mounir Elhadi, étudiant en communication dans une grande école parisienne et habitant des Muraux, est plus nuancé. Lui revient d’un séjour touristique à New York : «Y’a des choses que j'ai pas apprécié. La bouffe, le communautarisme. Le fait aussi de taffer 12h par jour. Beaucoup d'actifs là bas nous envient notre système des 35h. Je ne te parle pas du système de Sécu ». Malgré tout, pour lui, « c'est différent d'ici. L'esprit d'initiative et d'entreprise est beaucoup plus poussé là bas. Et ils intègrent tellement les gens... »

« Enfin des gens qui s’intéressent à nous ! »
L’opération séduction menée par l’ambassade auprès des élites des quartiers prend une autre dimension avec les voyages d’un mois tout frais payés, réservés à des participants triés sur le volet. Ces voyages font parti du prestigieux « International Visitors Program », organisé depuis les années 40 par le département d’Etat américain. Le principe est de repérer les potentiels leaders de demain et de les emmener s’initier au modèle américain directement à la source. Les États-Unis se trompent rarement de cible. Sur la liste des « élus » français se trouvent, entre autres, Nicolas Sarkozy et François Fillon.

La nouveauté vient du fait que, désormais, ce repérage se fait aussi dans les banlieues. Parmi les participant récents se trouvent ainsi Aziz Senni, créateur à Mantes-la-Jolie de l’entreprise Alliance transport et accompagnement. La méthode d’approche utilisée par l’ambassade ne le perturbe pas, bien au contraire. « S’ils nous draguent, c’est bon signe ! Enfin des gens qui s’intéressent à nous ! Ici, le gouvernement laisse les diplômés tenir le mur. Les américains ont le don de détecter les potentiels. Si la France ne s’y intéresse pas, tans pis pour elle ».

Un nouveau modèle d’intégration ?
Ali Zahi, maire adjoint à Bondy, est revenu convaincu. « Les américains ont raison de faire ça, explique-t-il. J’ai un exemple personnel. Mon petit frère a fait des études. Il est parti à l’école, a rempli son contrat, mais en face, plus rien. Si les jeunes partent mettre en valeur leurs compétences ailleurs, c’est normal ».

Pour Saïd Hammouche, fondateur du cabinet de recrutement Mozaïk RH, spécialisé dans la diversité en entreprise, ces voyages sont « une initiative excellente ». Lui a effectué le sien récemment. A son retour, le constat est sans appel: « la France est très en retard dans la mise en valeur des jeunes élites des quartiers. HEC vient juste de créer des bourses. On est en 2009... »

Comme tous ses camarades, Karim Zéribi, président de la Régie des Transports marseillais, est revenu avec une volonté très américaine de faire bouger les choses en France : « il faut créer un nouveau modèle d’intégration, une troisième voix du vivre ensemble, pour accepter les identités de chacun et en faire un force ».

Méfiance
Pascal Blanchard, historien et spécialiste de l’immigration, fait parti de ceux qui remettent en question la sincérité de la démarche américaine. « Les Etats-Unis se servent de la France comme d’un laboratoire. Ils décryptent ce qui s’y passe pour ne pas reproduire les même erreurs chez eux ». D’après Dominique Moïsi, spécialiste des Etats-Unis et conseiller spécial de l’Institut français de relations internationales, cet activisme américain dans les quartiers est tout sauf neutre : « il y a surtout une volonté de créer une relation avec l’Islam et les communautés noires de banlieue. Les Etats-Unis ont bien saisi le rêve Obama en France et ils en jouent ».

Pour les deux observateurs, le gouvernement a plutôt intérêt à réagir vite. « La France n’est plus attractives pour les minorités, comme elle l’a été dans les années 30, avec les populations noires américaine, qui venaient se renseigner sur les droits de l’homme. Elle doit se demander pourquoi et surtout essayer de faire pareil. Qu’elle aille elle aussi puiser dans le potentiel des minorités noires ou asiatiques des quartiers américains », propose Pascal Blanchard. Même mise en garde pour Dominique Moïsi : « la France ne fait plus rêver, c’est là le problème ».

Mais faire rêver n’est pas inscrit au programme de Fadela Amara. La secrétaire d'Etat à la Ville, chargée du plan banlieue, préfère plancher sur les rapports police-jeunes dans les quartiers. Au moment même où l’ambassade américaine organise ses projets culturels et ses échanges pour les mois à venir...

Hayat Gazzane / Ressources Urbaines
 

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