
Les émeutes, un prélude à la lutte des classes?

Gérard Mauger est sociologue, directeur de recherche au CNRS. En 2006, il publiait « L’émeute de novembre 2005, une révolte protopolitique », un ouvrage dense et passionnant dans lequel sont mises en perspectives les différentes interventions politiques, médiatiques et intellectuelles de l’époque. Rencontre.
Presse et Cité : Dans votre livre, vous relevez une confusion dans l’information sur les émeutes de 2005. Pensez-vous que cette confusion a été voulue ?
Gérard Mauger : Ceux qui font l’information ne reprennent à leur compte que celles qui les arrangent. La fausse information selon laquelle les jeunes poursuivis par les policiers avaient commis un cambriolage arrangeait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, parce qu’elle justifiait la poursuite policière. Ce qui importe c’est que les propos d’un Ministre de l’Intérieur ont le pouvoir de se faire passer pour vrais, y compris quand ils s’avèrent faux...
Certains mettent en avant la caractéristique ethnique des émeutiers. Qu’en pensez-vous ?
On a mis en relief une surreprésentation des primoimmigrants parmi les émeutiers. On pouvait la comprendre dans la mesure, d’une part, où les émeutiers se sont prioritairement recrutés parmi les jeunes en échec scolaire et où, d’autre part, les enfants de primo immigrants ont de bonnes chances d’être en échec scolaire. On a radicalisé ce point de vue en faisant de la variable ethnique ou culturelle une cause de la délinquance. Cette thèse est scientifiquement faible, et politiquement très mal venue. L’Etat d’urgence décrété au moment des émeutes s’appuyait sur une loi de 1955, votée pendant la guerre d’Algérie.
Croyez-vous qu’il y a une gestion post-coloniale des banlieues ?
Honnêtement, j’ai du mal à voir les choses sous cet angle. La répression des classes laborieuses et dangereuses est antérieure à la colonisation. Haussmann au XIXè siècle traçant de grandes avenues rectilignes, c’est déjà de la politique anti-émeute.
Mais n’a-t-on pas aujourd’hui divisé les pauvres Blancs et les pauvres non-Blancs pour mieux stigmatiser les uns et effrayer les autres ?
Tout à fait. Je me souviens du mot d’ordre, pas si ancien : « Français, Immigrés, même patron, même combat ». Il semble oublié aujourd’hui et c’est une conséquence des entreprises systématiques de division des classes populaires. En opposant les bons et les mauvais pauvres, lespauvres de souche et les pauvres immigrés, en mettant enévidence ce qui sépare, on fait oublier tout ce qui rassemble. Les avocats de Zied et Bouna disent que cette émeute aurait pu être évitée avec du courage... Ils ont raison. Il aurait simplement fallu admettre la bavure policière et la déplorer. La politique sécuritaire actuelle tend à couvrir la police quoi qu’elle fasse.
Quel moyen pour les jeunes de se faire entendre ?
Éviter la disqualification suppose de s’inscrire dans le registre d’actions collectives légitimes. De ce point de vue, ce qui manque le plus, et pas seulement aux jeunes des cités, c’est une représentation politique des classes populaires dans laquelle elles puissent se reconnaître. Le premier parti des classes populaires de France aujourd’hui, c’est l’abstention !
Vous parlez d’ « aphasie démocratique »...
Les grands partis n’ont que faire des classes populaires. Quant à la gauche de gauche, atomisée, elle est vouée à l’inexistence. Sortir de l’impuissance suppose d’accéder à un seuil de visibilité qui puisse dissuader le vote utile : l’unité devrait être un impératif. Tout reste à faire... Vous sous-titrez « Une révolte proto-politique », comme un premier pas vers une révolte vraiment politique ? C’est le mot que j’ai trouvé pour exprimer au mieux le sentiment que j’avais en observant ces émeutes. Elles me rappelaient les révoltes populaires, du XVIIe siècle à nos jours, que décrivent les historiens. Au fond, c’est dire que l’émeute de novembre 2005 s’inscrit, à sa façon, dans la longue histoire de la lutte des classes.
Propos recueillis par Meriem Laribi
L’émeute de novembre 2005, une révolte protopolitique, Gérard Mauger, Bellecombes-en-Bauges, éditions du Croquant, 2006.