Les banlieues dans la campagne : une étrange absence

Le 10-02-2012
Par xadmin

En tenant et réitérant les 04 puis 06 février dernier des propos ouvertement inégalitaires sur les « civilisations » qui ne se vaudraient pas, le Ministre de l’Intérieur assure crânement un nouveau rôle : celui de ministre du désordre et de la division de la société française.
Rien de bien étonnant finalement, tant ce gouvernement nous a habitués a de telles saillies, depuis le discours de Dakar sur « l’homme noir » qui ne serait pas rentré dans l’Histoire, puis les plaisanteries aux relents racistes (finalement relaxées par la Justice) de Brice Hortefeux, précédent Ministre de l’Intérieur. Il faut dire que ces rodomontades arrivaient logiquement dans le droit fil du « Kärcher » ou de la « racaille » du candidat Sarkozy, suivies par bien d’autres… Ces propos, tenus sur tous les tons, en contexte de lepénisation des esprits, auront des effets dévastateurs sur l’ensemble du corps social. On peut hélas ! penser qu’ils viennent renforcer, façon café du commerce politique, des études sérieuses qui ont des objectifs pourtant diamétralement opposés. On pense en particulier à celles qui ont défrayé la chronique médiatique depuis deux ans : celle de Hugues Lagrange (« Le déni des cultures ») ou celle de l’Institut Montaigne (« Banlieues de la République »). Toutes deux ont provoqué un véritable rouleau compresseur médiatique, bien plus que d’autres tout aussi passionnantes comme « Le ghetto français » (de Didier Lapeyronnie) ou « Fractures françaises » (de Christophe Guilluy). Les deux premières regardent les nouveaux phénomènes qui transforment la société française sous l’angle de l’ethnicité ou de la religion, même si elles s’en défendent et assurent que le social contribue largement à provoquer les phénomènes qu’ils décrivent. Les autres parlent de la question sociale, mais sous un angle résolument nouveau : la géographie. En affirmant que les nouvelles et véritables fractures sociales ne se lisent pas à travers le culturel, l’ethnique ou le religieux, mais à travers l’espace, en signalant l’apparition de zones enclavées où se concentrent toutes les exclusions.
Dans ce contexte, les propos de Claude Guéant évoquent sans conteste ceux de Jules Ferry, ce ministre multicartes de la IIIème République dont on rappelle toujours qu’il fut le fondateur de l’école républicaine, laïque, gratuite et obligatoire, en oubliant qu’il fut aussi (et là réside le drame, le péché originel que la Gauche républicaine française a toujours refusé de voir) le principal promoteur de la colonisation et de la « mission civilisatrice », pour les « races supérieures », « d’éduquer les races inférieures », selon ses propres termes.
Et alors que la campagne électorale s’efforce de toutes forces d’esquiver la question des banlieues, une fois de plus, il est à craindre qu’elle sera abordée, là encore de manière biaisée, exsudant depuis le corps social de par toutes ses pores, pour infiltrer le débat politique de dérapages incontrôlés en sorties instantanées.
Car quid de cette thématique chez Jean-Luc Mélenchon, pourtant porteur de la synthèse socialiste et communiste, qui a les classes populaires pour cible, contre les Le Pen ? Rien. Seulement une resucée des vieilles recettes de la gauche productiviste et centralisatrice, comme au bon vieux temps de la société industrielle. Rien en tous cas qui témoigne de sa prise de conscience qu’une nouvelle classe a émergé, avec son lot de nouveaux problèmes sociaux et culturels. Quid de cette question chez Eva Joly ? Beaucoup de choses, un florilège même de revendications traditionnelles des quartiers, mais rien de bien cohérent avec l’écologie. Et surtout, quelques propositions légitimes aussitôt contestées par tout le monde, y compris chez les premiers concernés (juifs et musulmans) et même dans son propre camp : on a parlé du fameux « jour férié » !
Au centre ? Morne plaine. A part quelques tournées de Dominique de Villepin, dont on ne retient dans les quartiers que son refus avec panache de la guerre en Irak, ni Bayrou, ni Morin et consorts ne semblent briller par leurs fulgurances sur cette question centrale pour la France. Quant au PS, on reste dans le doute : les propositions de Terra Nova avaient jeté un certain trouble en assurant que l’élection se gagnerait chez les classes moyennes, les femmes, les minorités, bref, une formule marketing qui ressemble plus à cet « agrégat inconstitué de peuples désunis » décrivant la France d’avant la Révolution selon Mirabeau, qu’à autre chose. Et que penser de la proposition de Jean-Pierre Bel, le nouveau président socialiste du Sénat, de provoquer un « Grenelle des quartiers populaires » début mars, soit… dans trois semaines ? Tout cela est-il bien sérieux ?
Bref, le tableau « pré élections présidentielles » vu des quartiers n’est pas brillant.
Au moment où la série de documentaires de Juan Gélas et Pascal Blanchard (« Noirs de France ») sort sur les écrans télé, la question du relativisme culturel chère à Claude Levi-Strauss ou du choc des civilisations chère à George Bush, deux visions du monde pour deux cerveaux eux-mêmes pas forcément aussi sophistiqués (égaux ?!), Serge Letchimy, refait débat. Un débat toujours passionnant, mais pas en période électorale, si possible. Et un débat, ou plutôt un défi, une insulte, que le successeur d’Aimé Césaire à la mairie de Fort-de-France ne pouvait pas ne pas relever. Même de manière contestable et maladroite.


Erwan Ruty, rédacteur en chef de Presse & Cité

 

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