Le Medef dans les quartiers : la foi du missionnaire

Remise des diplômes aux "Déterminés" le 20 mars 2015. Photo : Dagency
Le 03-02-2016
Par Erwan Ruty

Le 02 février le Médef organisait une conférence de presse à son siège parisien de l’avenue Bosquet, avec Pierre Gattaz, Thibault Lanxade (en charge des Pme/Tpe) et le responsable de l’association Agpr, Moussa Camara. Pour lancer la 2ème session du programme « Les déterminés » qui accompagne des jeunes des quartiers à « l’envie d’entreprendre » première marche avant de devenir entrepreneur ?

 

Pierre Gattaz, président du Medef, en est convaincu : « Les valeurs de l’entreprenariat correspondent aux attentes de la société ». Se fondant sur les projections d’un récent sondage d’Opinion Way, 19 millions de Français envisageraient, « un jour », d’entreprendre (soit 12% de plus que l’an dernier – mais que s’est-il passé de nouveau dans le monde du travail depuis un an pour une telle déferlante ?). Un engouement supposé qui donne des ailes au Medef et l’incite à titrer son document de cadrage distribué à l’occasion de ce petit-déjeuner de presse « La révolution entrepreneuriale est en marche »!
 

« Créer son emploi plutôt que d’en demander un »

Maisons d’hôte ou commerces de proximité arrivent en tête des projets - ce qui peut faire penser que "l’ubérisation" de l’emploi n’est donc pas totale... Et le Medef d’asséner : « Face au chômage de masse (…) l’objectif est clair, l’enjeu est simple : créer son emploi plutôt que d’en demander un ». D’autant que, à en croire encore Pierre Gattaz, 50% des jeunes envisageraient positivement cette perspective (alors qu’il y a dix ans, ils rêvaient d’être fonctionnaires, selon lui). « L’entreprise est nécessaire à la non-reproduction des élites, et face aux blocages de l’intégration », poursuit-il même, dopé par la foi du missionnaire.
 

Déterminés

C’est en partant de tels constats qu’une initiative comme « Les déterminés » tombe à point. Issue d’une rencontre inopinée entre Moussa Camara, animateur associatif dans le Val d’Oise (Cergy), qui a lui-même un parcours entrepreneurial (autant que salarial, associatif ou citoyen), en 2014, elle a permis en 2015 d’accompagner 15 entrepreneurs en herbe dans une réflexion sur leur avenir. Revendiquant 10 créations d’entreprises, deux retours au salariat et deux retours sur les bancs des études, l’initiative, parrainée par le Medef et Klesia (un groupe d’assurances mutualistes), notamment, est donc reconduite en 2016. Et même étendue (à La Réunion en particulier).
 

Susciter de l’espoir

Le responsable d’Agpr est enthousiasmé par ce programme : « On a eu 70 candidatures en deux semaines pour la deuxième promotion ! Nous, on a d’abord travaillé pour plus de justice sociale, mais ça ne sera pas possible tant qu’il n’y aura pas plus de justice économique. On veut démocratiser l’entreprenauriat, sans autre critère de sélection que la détermination. On ne réglera pas les 40% de chômage dans les quartiers qu’avec les emplois-aidés*. Mais il faut accompagner les entrepreneurs, et formaliser les formations pour qu’elles leur ressemblent. Du coup, même lorsqu’ils retombent dans le salariat, ils le font avec un nouvel état d’esprit (…) Ce qui importe, même si le projet ne marche pas, c’est le changement que cela produit sur l’humain (...) Il faut que la réussite ne soit plus une exception, mais la règle. On doit pouvoir entreprendre, même sans réseau au départ. C’est pour ça qu’on a créé un groupe qui a une cohésion. On a redonné confiance ». Pierre Gattaz lui aussi est emballé par cette cure de jouvence banlieusarde : « On sent une énergie formidable. Quand vous commencez à vous occuper de ces jeunes, ils vous le rendent mille fois. Vous suscitez de l’espoir ! »

« Nous écoutons les réseaux territoriaux, les associations, assure de son côté Thibault Lanxade. C’est elles qui doivent nous donner le fil conducteur. C’est une logique bottom-up, axée sur la politique de la ville, sur la ruralité aussi». Car il le reconnaît : « On sent une fracture très forte entre Paris et la province en matière d’accompagnement, notamment pour les start-ups ».
 

Plus petit dénominateur commun

Dans cette logique, l’auto-entrepreneuriat apparaît comme une perspective à généraliser. En l’accompagnant, en parvenant enfin à mieux spécifier ce qui le distingue légalement du salariat (et donc en permettant d'avoir une meilleure appréciation des « liens de subordination » avec les donneurs d’ordre), en modérant les sanctions éventuelles contre les auto-entrepreneurs « requalifiés » comme salariés (en tous cas pour les entreprises et leurs sous-traitants auto-entrepreneurs qui sont de bonne foi), et bien entendu en allégeant les contraintes des artisans (pour les calquer sur celles des auto-entrepreneurs ou des travailleurs indépendants, ne serait-ce que pendant leurs deux premières années d’exercice, par exemple)... Maître mot : « le calage sur le plus petit dénominateur commun ». Le "moins disant social", dirait-on à la Cgt...
 

L’entreprenariat plutôt que le salariat, tel est donc le modèle du Medef. « Avec un droit à l’échec. Aux Etats-Unis, l’échec fait partie de l’expérience. Ceux qui n’ont jamais échoué n’ont jamais essayé, y dit-on. » S’il le faut en assortissant ce changement de paradigme d’une reconnaissance, dans le système social, de l’entreprenariat, au même titre que le salariat… et en offrant pourquoi pas une « assurance perte d’activité » pour les entrepreneurs.


*24% selon l’Observatoire des inégalités, en 2012 –soit plus du double des territoires alentours (mais parfois en effet 45%, pour les jeunes de 15 à 24 ans, notamment d’origine extra-européenne). Un écart qui, par ailleurs, se creuse…

 

 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...