
Le côté obscur de la rénovation urbaine - Projecteur

Derrière les plans de communication déployés par L’Etat et l’impression d’amélioration que ressentent les habitants sur le coup, il y a un côté obscur dans la vague de rénovation urbaine que connaît la France.
L’idée parait simple et magnifique. On prend les pires quartiers de France, on y détruit un maximum de grandes barres, et de tours délabrées, et on y construit des logements flambant neufs, à taille humaine, mi-HLM, mi-propriétaire, pour favoriser la mixité sociale. A côté de ça on réhabilite à tout va, on transforme de nombreuses cités en résidences et on trace des routes pour désenclaver le tout. De grand travaux qui ont, en plus, l’avantage d’amener des emplois directs : sur 42 milliards d’euros de budget total, une clause d’insertion sociale affecte 5 % des heures de chantier aux demandeurs d’emploi qui résident dans les zones urbaines sensibles touchées. Et, même si ce taux n’est pas toujours respecté, il permet à certains de trouver un contrat, au moins pour un temps. Les habitants voient leur cadre de vie s’améliorer : «avant c’était la crasse, le quartier devient beau. ça amène une nouvelle mentalité, les gens font plus attention», se félicite Christophe, 26 ans étudiant en psychologie et habitant de Montfermeil (93). Et, pour ceux qui ont mal au coeur de voir leurs souvenirs d’enfance finir en gravats, il y a les projets Mémoire, le volet «humain» de la RU, destinés à accompagner les habitants dans la transition. Grâce aux fonds alloués, on réalise des expos photos, des fresques, des interviews et bien d’autres projets... Bref, il n’y aurait guère que les minots en quête d’affirmation pour critiquer la démarche : «MEAUX a l’encienne a la pierre collinet yavé 9 batimen la il reste ke 3 tour ct pluss ghetto avan» semble regretter lilboy77 sur un Skyblog.
Un manque d'interactivité et de communication
Avant le début des travaux, à Sarcelles (95), comme partout, il y a eu «concertation», et Nabil, 35 ans, responsable associatif, d’expliquer : «dans les réunions, ils te font rêver à coups de super maquettes, mais les gens ne comprennent pas grand chose. Beaucoup ont du mal à bien maîtriser le français, alors des mots comme résidencialisation... Si les jeunes venaient, ils pourraient aider leurs parents à comprendre.»
A Grigny (91), Mohamed, 54 ans, regrette le manque de participation des habitants qu’il attribue «à un langage parfois très technique, à la faiblesse de la culture politique, et aussi aux nombreuses déceptions vis-à-vis du politique. Les gens n’y croient plus». Un manque d’interactivité qui se traduit parfois dans les réalisations : «ils ont construit un centre social entièrement vitré. S’ils connaissaient un peu la Grande Borne, ils auraient anticipé le fait que les vitres avaient de grandes chances d’être cassées».
Ces défauts de communication, en fait, on les retrouve à tous les niveaux. Par exemple, pour les propositions de relogements. Mam a 54 ans ; avec sa famille, elle habitait une des tours détruites à Dammarie-les-Lys (77). On lui a proposé un relogement à Melun, la ville à côté. Le loyer passait de 100 à 400 euros, pour un pavillon de 40 m2, «mais, ils ne m’avaient pas tout dit. Je me suis retrouvée avec 800 euros de charges, à devoir prendre un crédit, et j’ai du déménager à nouveau au bout d’un an». Des chiffres extrêmes, mais un cas typique.
Et pour ceux qui restent c’est presque pareil. «Transformer le bâtiment en résidence, ça signifie que tout ce qui se trouve à l’intérieur des barrières est payé par les locataires. Avant les espaces verts étaient entretenus par la collectivité, si tu rajoutes à ça le passage au chauffage électrique, tu obtiens une véritable explosion des charges», ajoute Nabil. «Si les aspects humains étaient traités aussi, ça aurait été un vrai plus. Mais il n’y a presque rien sur l’emploi, la formation, le plan Amara c’est Walou... Et les financements pour les associations sont en chute libre depuis 8 ans. Les logements insalubres avaient besoin d’être refaits. Mais tu auras beau mettre des robinets en or et des baignoires en ivoire, si les gens sont en galère, ils restent en galère».
Et peu à peu, on se rend compte que c’est plus compliqué que ça en avait l’air.
Si on détruit beaucoup de logements à loyers très faibles, et qu’on en reconstruit une moitié en accession à la propriété, et l’autre avec des loyers modérés, mais quand même plus chers qu’avant, que sur les transformations en résidence, les loyers et charges augmentent, on peut se demander ce qu’il advient de ceux qui n’arrivaient déjà plus à boucler les fins de mois. Beaucoup de ceux qui s’intéressent à la RU trouvent que c’est un bon moyen de se débarrasser des populations en grande difficulté (rmistes, familles monoparentales, etc...), celles-la mêmes qui ont permis aux municipalités d'obtenir les subventions de l’ANRU. Les hommes politiques se servent de cette manne pour faire venir des ménages plus aisés, plus rentables sur le plan fiscal. Le concept de mixité sociale, qui peut être bon en soi, apparait sur le terrain comme un prétexte. Et en plus, selon Christophe, «ça ne tient pas la route. Les nouveaux habitants veulent déjà déménager». D’autres, comme Simon, 37 ans, militant de quartier, vont plus loin : «la RU, c’est mettre la main sur des sites où on peut faire une plus-value immobilière, c’est-à-dire souffrant de mauvaise réputation mais bien placés géographiquement, proches des transports, des bassins d’emploi, etc... La mixité sociale, quand il y a de gros écarts, se fait toujours au détriment des plus pauvres. Si les gens peuvent payer plus cher, les services proposés risquent d’évoluer dans ce sens, idem pour les prix dans les magasins, et pour la taxe d’habitation, surtout après la suppression de la taxe professionnelle. Progressivement les plus pauvres risquent de décrocher. Je suis contre la mixité sociale, je suis pour l’égalité sociale», conclut-il en marxiste du ter-ter.
Reculer pour mieux sauter? Où iront les plus pauvres?
Dans des quartiers de relégation mal situés où il reste encore des loyers très bas, c’est-à-dire des hyper-ghettos. Et demain, dans des mobiles homes, des caravanes ou sous des tentes comme on peut le voir le long de la N104. Car il y a une vraie pénurie de logements en France, notamment en Ile-de-France où on estime qu’il en manque déjà 400 000.
Pas de démolition avant d’en finir avec la pénurie. Pourquoi détruire autant si l’on peut réhabiliter? qu’en plus çà intéresse les gens et que çà coute moins cher que démolir? Ce sont les slogans de la coordination anti-démolition des quartiers populaires, née suite à la prise de conscience des habitants de la Coudraie (Poissy, 78), et de Gennevilliers (92), et dont la porte-parole Kaissa Titous avait choqué Christine Boutin en employant le terme «d’épuration sociale», en 2008.
Si le côté humain à été négligé, le volet sécuritaire par contre n’a pas été oublié.
«Pourquoi dans les tables rondes, faut-il l’intervention d’un policier qui estime qu’il faut détruire telle barre et pas telle autre ?» C’est la question à l’origine du livre «Opérations banlieues», d’Hacène Belmessous, qui dénonce un entrisme policier récurrent au sein de l’ANRU, et l’orientation des rénovations dans une logique de "prévention situationelle": rénover l’espace pour optimiser la répression. Les révoltes de 2005 ont mis en évidence que les difficultés de maintien de l’ordre étaient parfois renforcées par l’architecture. En haut lieu, on se prépare bien à réprimer les conséquences des problèmes sociaux, mais le fameux "Plan Marshall des Banlieues" qui traiterait les causes s'est définitivement évanoui avec la crise. En poursuivant le fil de son enquête, l’auteur a même découvert que l’Armée Française s'entraîne en vue d'éventuelles interventions militaires dans les quartiers populaires français : la pacification qu’ils appellent ça. Mais ça les plaquettes de com’, elles n’en parlent pas.
Vinz - Projecteur
chiffres :
42 milliards d'euros au total
12 milliards d'euros investis par l'Etat.
4,5 millions d'habitants concernés
530 quartiers concernés (113 en Ile-de-France)
3 objectifs officiels:
-réinsérer les quartiers dans la ville
-créer la mixité sociale dans l'habitat
-Introduire de la mixité par la diversification des fonctions (commerces, activités économiques, culturelles et de loisirs)
http://antidemolition.blogspot.com/
http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?rubrique195
http://danactu-resistance.over-blog.com/article-operation-banlieues-un-e...