L’appli qui contrôle le contrôle au faciès ?

François Hollande était contre le contrôle au faciès... avant d'être Président (photo : Stop le contrôle au faciès)
Le 27-03-2014
Par Erwan Ruty

Qui sera le gardien ne nos gardiens ? Le collectif Stop le contrôle au faciès en tous cas, s’échine à limiter les abus policiers tout en dialoguant avec les syndicats de police. Nouveauté 2014 : une "web" appli. Un gadget ? Non, un nouvel outil qui optimise l’action juridique autant que militante. Une de ses membres nous explique où en est ce combat passé aux oubliettes des promesses électorales

 

« Avec l’appli, il y a plusieurs nouveautés par rapport au SMS » (07 60 19 33 81), déjà mis en place au démarrage de l’action de ce collectif, et qui permet aux contrôlés de signaler un contrôle policier jugé abusif. « D’abord, les personnes contrôlées n’ont pas besoin qu’on les rappelle. Et puis cela permet aussi de donner soi-même des précisions sur les conditions du contrôle. » L’idée est notamment de donner des indications sur les « numéros de matricule qui reviennent très régulièrement sur une même ville », et donc de signaler à l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) ou au Défenseur des droits des cas particulièrement explicites de dérives procédurales policières. Précaution technique utile aussi : tout signalement fait à l’IGPN suite à aux formulaires existants (« très bien faits », note au passage notre interlocutrice), déclenche une procédure, ce que bien entendu personne ne souhaite, sauf à engager une armada d’avocats (et donc des moyens humains et financiers considérables). Qui peut se le permettre ? Ni les militants de la cause (qui ont pourtant déjà effectué 3000 signalements depuis 2011), ni les institutions elles-mêmes ! Une manière (peut-être pas prévue ?) d’étouffer des velléités activistes… pourtant très civiques ?



L’appli : une demande du terrain… et du ministère de l’Intérieur ?!


Quoi qu’il en soit, deux jours après le lancement de l’appli (à Montreuil, au moment de la journée de lutte contre les discriminations, le 21 mars), 400 personnes avaient déjà téléchargé l’appli (sur appli.stoplecontroleaufacies.fr). On peut parler de réussite (ou d’échec de la police républicaine ?). « C’était une demande du terrain », explique le collectif. « Nous ne sommes pas toujours disponibles quand on nous envoie des sms. Cette appli est outil militant plus pratique, qui par ailleurs simplifie le travail juridique : il nous fournit plein de données. Et puis c’est un pied de nez à Valls, qui nous dit que c’est compliqué de faire un récépissé ! » Mais, plus surprenant, on pourrait même dire que cette application était aussi une demande… ministérielle ! En effet, selon Stop le contrôle au faciès, le ministère jugeait que « ce serait bien de faire une version électronique du récépissé papier » (pensant sans doute trouver là un argument immobilisant son interlocuteur). Pourtant, aussitôt dit, aussitôt fait. Avec les moyens dérisoires de cette association militante -moyens en l’occurrence fournis par la réserve parlementaire de la sénatrice EE-LV Esther Benbassa, compagnon de route historique de cette cause.



Demander à un policier son matricule = risquer « l’outrage à agent »


L’association fait aussi remarquer au passage les limites des autres pratiques visant à contrôler les abus policiers : le matricule, présenté par le ministère comme une alternative au récépissé, et mis en service depuis le début de l’année 2014, serait en fait détourné : « On a fait une enquête de terrain. Sihame Assbague [par ailleurs porte-parole du collectif, NDLR] a constaté que le matricule, qui est un scratch, était souvent mis dans la poche des policiers. Et lorsqu’une personne contrôlée le demande, on la menace parfois d’outrage… Ca n’améliore pas les relations entre usagers et forces de police ! Alors que nous cherchons justement une amélioration de ces relations. Nous, on n’a jamais demandé un matricule ! On a toujours voulu des mesures utiles aux policiers autant qu’aux usagers. Or, c’est vrai que le matricule expose le policier. Nous, on veut un outil qui nous permette de mesurer certaines pratiques, et d’instaurer un dialogue sur des bases concrètes. »



Dialogue avec les syndicats de police


Après quoi, au bout de quelques mois, le collectif fera le bilan qui s’impose, et retournera voir les syndicats, premiers concernés. Car on est loin de l’activisme de quelques passionarias de « l’ultragauche ». Certes, les campagnes de Stop le contrôle au faciès on une réelle capacité tribunicienne, susceptibles d’interpeller le grand public (si bien que près de deux millions de personnes ont vu leurs deux saisons de la « série » de témoignages vidéos « mon premier contrôle d’identité », avec plusieurs personnalités comme Lilian Thuram ou Médine). Mais leur capacité de plaidoyer est tout aussi réelle : selon notre interlocutrice, « avant, Unité SGP police-FO était pour le récépissé, mais ils ne peuvent plus le dire, ils se mettraient le ministère de l’Intérieur à dos ! » D’après le collectif, seul un syndicat de droite (Alliance), ainsi que le ministre lui-même, seraient contre le récépissé. « Même Jean-Marc Ayrault  a fait le maximum ! C’est pourquoi il faut maintenant saisir François Hollande… » On peut cependant penser qu’il n’est pas acquis d’avance que le Président cherche à contredire les options de son ministre de l’Intérieur, tant celui-là semble voir en lui l’ultime planche de salut politique au moment où la tempête gronde…



On comprend donc en quoi ce type de campagne est toute politique. Une raison qui justifie son lancement… deux jours avant le premier tour des municipales ! « On a une cinquantaine de candidats, à Paris, Lille, Fontenay-sous-bois ou encore Dijon, qui se sont dits prêts à expérimenter ce dispositif en test sur leur commune, comme cela se fait par ailleurs avec les caméras-boutonnière. » Bref, le collectif se mobilise donc tous azimuts : proposition de participation aux réunions institutionnelles locales organisées par la police (dans le logique des CLSPD), propositions de lois posées par le Front de gauche, EE-LV, et même le centre, « pragmatique », selon les militants de Stop le contrôle : « Jean-Christophe Lagarde [maire UDI de Drancy, NDLR] y voit par exemple un moyen d’améliorer le service public de la police… » Faudra-t-il attendre que la droite revienne au pouvoir pour que les choses avancent ?! Pas sûr, tant il est tellement plus facile de faire des promesses quand on sait qu’on n’est pas en devoir ou en situation de les tenir. ..




 

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