
« L’actualité des combats de la Marche persiste »

Au moment des présidentielles de 2012, Nassurdine Haidari, élu socialiste du 1er arrondissement de Marseille, avait été agressé dans la cité Félix Pyat, par des individus se réclamant d’un de ses concurrents… socialiste ! Ambiance. Marseille, capitale de la voyoucratie ? L’élu publie une « Lettre ouverte aux marseillais », et revient sur la situation de la ville.
L’initiateur (fin 2011) de l’appel « Nous ne marcherons plus ! », se référant à la Marche pour l’égalité (dont 32 jeunes marcheurs étaient partis de Marseille suite à une vague de crimes racistes), essaie de se faire une place dans le débat local. De manière plus constructive que d’aucunes, qui préfèrent le buzz médiatique, sur le mode : « il n’y a que l’armée qui puisse intervenir dans les cités ». L’appel de M. Haidari commence par une alerte : « Marseille est la ville la plus inégalitaire de France ». Lutte contre l’insécurité et contre le clientélisme, modification des procédures d’attribution des logements sociaux, conditionnement des marchés publics aux entreprises qui luttent contre les discriminations… les propositions restent d’ordre général, mais la foi de celui qui les porte pourrait bien déplacer quelques montagnes, ou quelques collines, ne serait-ce que celle de Notre-Dame de la Garde. Et, espérons-le, combler quelques… Phocée.
A qui s’adressent votre appel et vos propositions ?
Aux quartiers les plus paupérisés. C’est là qu’il faut conscientiser et lutter contre le fatalisme. Les gens n’ont plus confiance en la politique. Mais je m’adresse aussi aux quartiers où il y a moins de problèmes. La pauvreté est aussi une bombe à retardement pour les riches, ceux qui vivent dans l’entre soi ! Concentrer tous les problèmes dans certains quartiers accroît finalement les risques pour tous.
Cet appel est lancé quelques mois avant les primaires du PS [à l’automne 2013], en vue des municipales. Est-ce un hasard ?
On est dans le temps des sondages : chaque candidat produit un sondage qui le donne gagnant ! Du coup, les marseillais ne voient qu’une course à l’échalote… Il faut poser les problèmes en terme de positionnement politique, pas de casting. Tout n’est pas joué pour les municipales : les marseillais se posent des questions sur la fiabilité du PS, avec l’affaire Guérini. Les primaires pour la présidentielle ont été un formidable moment démocratique, avec une grande qualité de débat. Mais tout l’appareil du parti était mobilisé pour leur réussite. A Marseille, vu l’ambiance, il faudra encadrer la mise en place de ces primaires, avec une charte déontologique, notamment concernant la tenue des bureaux de vote. Si cela ne fonctionnait pas, il y aurait un risque de se retrouver dans une situation pire qu’avant ! Ici, le parti est affaibli, ébranlé… Et on doit s'opposer à la voyoucratie dont j'ai été victime.
Le retour de Bernard Tapie, dans la presse locale, dans ce contexte, est-il bien accueilli, notamment dans les quartiers ?
Il a marqué les consciences, depuis la victoire en coupe d’Europe [1993]. Mais son poids n’est plus le même, même s’il y a encore une certaine fascination pour son parcours. Il revient dans la presse avec des intentions peut-être pas claires, mais on ne devient pas maire de Marseille en étant propriétaire de La Provence.
Vous êtes au PS, et avez lancé l’année dernière un appel « Nous ne marcherons plus ». Or, la Marche de 1983 a justement été considérée par bien des marcheurs comme dévoyée par le PS… Comment ce genre d’appel est-il accueilli ?
Avant d’être au PS, j’ai subi des discriminations. Je veux juste m’inspirer de l’histoire de la marche, de ce souffle. Mais la marche ne s’est pas arrêtée en 1983. L’actualité de ses combats persiste. Je vois encore des jeunes arriver en pleurant parce qu’ils n’ont pas été pris dans un stage alors que leur copain d’une autre couleur de peau l’a été… On a marché, mais qu’est-ce qu’on a eu en retour ? On a envie de remettre ça sur le tapis.
D’autant plus que les policiers de la Bac Nord, arrêtés pour corruption cet été, ont été relaxés !
Je le déplore ! Ils ont été réintégrés sans que l’enquête ne soit trop poussée… Il y a le sentiment dans les quartiers que certains peuvent agir en toute impunité. Mais par contre, dans l’affaire Ajimi [tué par trois policiers de la Bac après une interpellation à Grasse en 2008], la condamnation des policiers vient d’être confirmée. Même tardive, ce qui peut être considéré comme un déni de justice, il faut se féliciter de cette bonne nouvelle.
Le ministre de la ville mène actuellement des négociations. Vous faites parti des acteurs qui y participent. On consulte beaucoup, comme naguère on faisait beaucoup de commissions pour enterrer des problèmes, non ?
Il faut d’abord écouter les gens. Mais il va falloir aller vite dans le traitement des maux. Il y a des propositions depuis longtemps sur la table. Le récent rapport Tuot, sur les politiques d’intégration, ne fait que dire ce que l’on répète depuis trente ans : une injustice a handicapé pour très longtemps une partie de la population française. Ici, à Marseille, il y a 24% des jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme, contre 12% ailleurs à Paris. Il y a du coup une impossibilité de construire un futur. Comment s’étonner que quand on construit une zone d’activité comme Euromed, cela ne profite pas aux habitants ? Mon père a commencé dans la rue en mendiant, il n’a pas été à l’école. Moi si. Je porte ses ambitions. Je veux que ce que cette ville a fait pour moi, elle soit encore capable de la faire pour d’autres.
Propos recueillis par Erwan Ruty