La politique par le bas

Le 08-02-2011
Par xadmin

A nouveau, on pouvait récemment lire dans la presse qui donne le ton, au détour de telle analyse du Monde par exemple, que « les classes populaires feront l'élection présidentielle » de 2012. Comme en 2007, en 2002 et en 1995, finalement. Pourtant, celles-ci sont-elles ne vont-elles pas plutôt exprimer dédain ou colère face au harcèlement médiatico-politique que nous assène quotidiennement la classe des faiseurs d'opinion, et ce, 15 mois déjà avant les échéances électorales ?

Cette classe se passionne évidemment pour ces enjeux, primaires et courses à l'échalote des présidentiables au PCF, Front de Gauche, chez les écologistes, au PS, au Centre, bref dans tout ce que compte l'opposition... alors que la plupart des Français, et notamment les plus de vingt millions d'entre eux qui composent les classes populaires, seraient plutôt tentés par l'abstention, compte tenu des problèmes liés au chômage, à l'étiolement de la redistribution des revenus, au désarroi identitaire et aux cures d'austérité.

A droite et à l'extrême-droite, on sait déjà sur quels chevaux de guerre miser. A gauche, on cherche encore. On trouvera un jour, sans doute. Après 2012. Car qui,dans cette mouvance, a lu et tenu compte des travaux d'Olivier Masclet, comme « La Gauche et les cités » ? Qui a lu « Pourquoi les pauvres votent à droite », de Thomas Frank ? Personne n'y est capable de reconquérir l'électorat des classes populaires. Sans même parler de refondation idéologique et de capacité à défendre les populations les plus faibles, les pratiques politiques n'ont plus rien à voir avec celles que les partis classiques employaient depuis la naissance de la Troisième République : grève, manifestation, porte à porte, meetings dans les préaux des écoles, affichage massif, tractage sur les marchés ou à la sortie des transports en commun, puis séances de phonning intensives, voire campagnes de SMS... Seule la télé, elle, paie par contre toujours plus. Cependant, quelques nouvelles méthodes, importées des Etats-Unis, font réfléchir les états-majors : un véritable mythe autour du « Community Organising » qu'aurait (de loin, et pendant une courte période) expérimenté le messie Obama, sur les préceptes de Saul Alinsky. Et l'utilisation des fameux « réseaux sociaux », perfectionnée par l'équipe du même Obama, palliant les traditionnelles mobilisations des Trade Unions (syndicats) au service du Parti Démocrate ou le recours à des entreprises privées de marketing. Sans pour autant totalement se débarrasser de ces deux dernières entités, la campagne démocrate de 2007 a néanmoins systématisé le recours aux réseaux sociaux comme techniques de pointe pour collecter des contacts, des moyens et des soutiens et cibler le degré d'implication de ces derniers. Pour ensuite revenir aux méthodes plus traditionnelles lorsque cela semblait être utile, une fois un « coeur de cible » bien défini.

En France, ces méthodes peinent encore à voir le jour, en raison de traditions politiques différentes, notamment. La Journée Sans Immigrés, testée en février 2010, a été un succès foudroyant sur Facebook... et un flop en nombre de manifestants le jour fatidique. Loin des succès des Latinos américains, encore une fois. La France n'a pas encore trouvé la formule. Le PCF disposait naguère de la plus forte capacité de mobilisation, susceptible de mener campagne notamment dans les cités et quartiers populaires. Ce parti n'y est plus que l'ombre de lui-même, regroupé autour d'une élite Blanche composée de fonctionnaires territoriaux, de syndicalistes fatigués et d'une intelligentsia boboïsée. Même le FN ne dispose plus d'une organisation militante capable de faire ce travail de terrain en période électorale, contrairement aux années 80. Le désarroi, l'anomie, le pain et les jeux dispensés par le « Monstre doux » que Tocqueville dénonçait déjà dans les années 1830, puis l'anti-berlusconiste Rafaele Simone ces derniers temps, ont fait leur oeuvre.

Alors... alors, et si, pour changer, on regardait de l'autre côté de la Méditerranée ? Les fameux nouveaux outils de communication ont été les moteurs de la révolte tunisienne, voire de l'égyptienne (et de l'iranienne en 2010). De refuges virtuels à la chape de plomb que des Etats policiers faisaient porter sur leurs sociétés, ils sont devenus amplificateurs de mobilisations bien réelles. Il y a bien là convergence (et non choc) des civilisations urbaines et juvéniles, de part de d'autre de Mare Nostrum, via le cyberespace. Désordonnés, informels, mais populaires et agrégateurs de réseaux trans-classes sociales, ces outils, en Occident, révéleront sans doute très bientôt toutes leurs potentialités, pour transcender le séparatisme social et géographique qui divise l'hexagone en silence. Une manière de refaire du militantisme « par le bas », là où les élites politiques ont depuis longtemps jeté l'éponge. Car s'il est un domaine où la fracture française est édulcorée, c'est dans le numérique.

PS : Ben Ali est parti, mais, toute proportion gardée, Ben Sarkozy règne encore ici. Certes, Ben Woerth, dont la ressemblance avec Mme Trabelsi est flagrante, a finalement été délicatement écarté - et doit actuellement couler des jours tranquilles entre les châteaux et hippodromes de Chantilly et les palais de Djeddah. Mais Ben Hortefeux, lui, malgré sa condamnation depuis 245 jours pour « injure raciale », sévit toujours place Beauvau, comme Ministre de l'Intérieur. La justice a frappé, alors que fait la police ?

Erwan Ruty

 

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