
La nuit appartiendrait-elle à la "médiation nomade" ?

Le 2 juin à Bondy, où l’action de Yazid Kherfi est accueillie à bras ouverts par la mairie, son association, « Médiation nomade », y organisait une rencontre où intervenaient plusieurs acteurs des quartiers, pour dépassionner ces questions de sécurité. Travailleurs ou habitants qui ont une expérience de la nuit et savent gérer bien des situations. Des témoignages passionnants, et rassurants.
Yazid Kherfi a toujours su créer des espaces de parole dans les quartiers, pour couper l’herbe sous le pied de la violence. Il a le profil pour : ancien du grand banditisme, ancien « repris de justice » qui a purgé sa peine, nouvel apôtre de la non-violence et expert ès questions de sécurité. Ce soir-là à Bondy, il réunissait deux plateaux d’ « experts du quotidien », d’élus et de spécialistes de ces questions. Les témoignages des premiers sont peut-être les plus inédits, tant ils parviennent à dépassionner ce sujet qui fait peur. Ils sont en tous cas ceux qui auront eu le plus de succès auprès du public, un public totalement atypique, mêlant habitants des quartiers, jeunes volontaires, grands-frères à l’ancienne et cadres supérieurs (chercheurs, journalistes et animateurs associatifs…).
"Il n’y a pas plus d’incivilités la nuit"
Ainsi, Abdoul, chauffeur de bus, très flegmatique, préfère la nuit : « Il n’y a pas plus d’incivilités la nuit, je trouve même que c’est plus stressant le jour. Il y a plus de circulation, les gens sont pressés… ». Hayatte Akobad, urgentiste à Avicennes (ancien « hôpital colonial » de Bobigny) est moins enthousiaste, mais raconte comment les équipes font contre mauvaise fortune bon coeur : « On nous envoie tous les sans-papiers, les sans protection, depuis tous les hôpitaux de Paris, qui disent qu’on est des spécialistes de ça ! C’est faux, mais on n’a pas le cœur de les renvoyer. Le service de nuit, chez nous, s’appelle Service dégradé ! On est avec moins de moyens, mais du coup, on s’entraide plus. Il y a une très bonne ambiance ! » En gros, le service public de la santé a encore des pratiques néo-coloniales, de fait…
"Les bars disparaissent"
A l’opposé de cette vie salariale nocturne, il y a la vie festive. Et là encore, on est parfois loin des clichés des fêtes insensées. A Lille en particulier, le sociologue julien O’Neil évoque le reflux c’une certaine vie nocturne : « Les bars disparaissent, notamment les bars associatifs. La municipalité a lancé des Maisons folies en 2004, pour que les habitants y organisent ce qu’ils voulaient. Mais il y a eu des difficultés, aujourd’hui, il n’y en a plus que cinq, souvent récupéré par les mairies. Quant aux bars, ils coûtent un bras. Dans les quartiers, il y avait les bars, les associations d’éducation populaire et le Parti communiste. Maintenant, plus rien… sauf les lieux gérés par la municipalité ».
"Ils sont partis quand ils ont vu qu’on n’avait pas peur"
Plus tragique, le témoignage de Kheira, de Sevran, qui a le look de mère de famille musulmane posée, qui raconte comment les dealers ont été chassés de son immeuble. « Le plus dur a été de convaincre les habitants de faire confiance aux forces de l’ordre. Beaucoup ne parlaient pas français. On a décidé de provoquer tout le monde, service d’ordre et dealers en même temps, en installant des tables dans les parties communes, avec des chaises, du thé… On passait la nuit dans le hall, jusqu’à quatre heures du matin, avec les femmes y compris ! On a essayé de dialoguer avec les dealers, mais ils nous ont dit de dégager avec nos enfants si on n’était pas contents. On a eu des menaces, du harcèlement, des agressions. Ca a duré un an et demi. Ma voiture est partie en miettes. Mais ils sont partis quand ils ont vu qu’on n’avait pas peur… Mais on a conscience que le problème a juste été déplacé à un autre immeuble…»
"On a déplacé les problèmes vers le privé"
Une situation due en partie à la dégradation des rapports entre les habitants et les forces de l’ordre, qui date du début des années 2000, rapporte Franck Denion, Coordonnateur du CISPD de Melun Val de Seine (Conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance, à Melun, Le Mée, Damary…). Ce qui a été perdu en qualité des relations institutions-citoyens, a été peu ou prou compensé par des pratiques de protection de ces derniers, qui en fait les isolent : résidentialisation, gardiennage, réduction du nombre d’entrées… « En limitant ces problèmes, on les a déplacés vers le privé »…
C’est pourquoi notre chauffeur de bus, d’accord avec l’urgentiste, finit par trancher, philosophe : « Il n’y a pas de formation spécifique pour ces situations. Mais bon, on ne peut pas être formé à tout dans la vie ! » Car c’est bien l’expérience de vie qui, dans ces situations, fait la différence. Celle de Yazid Kherfi en est un exemple : c’est grâce à ce parcours qu’il arrive à créer du lien avec ceux qui se sentent rejetés de partout et on besoin d’une oreille qui a connu ça…