
La Grèce, l’autre banlieue

« Qu’un seul tombe et tous les autres suivront ». Cette maxime pourrait certainement à elle seule résumer la situation que traverse l’Europe. À l’heure où la France et l’Allemagne raillent l’Italie, esquissent une moue aristocratique devant l’Espagne et ruent dans les brancards pour ce qui est de la Grèce, il n’est pas hasardeux de penser que le pire est devant nous.
Le climat insurrectionnel (l’émeute) qui règne en Grèce ne date pas de la publication du déficit budgétaire mais bien de la fronde de sa jeunesse et de la mort (bavure policière) du trop jeune Alexis Grigoropoulos. Les révélations sur la dette publique n’ont fait que solder la rupture entre le peuple et ses gouvernants (crise de la représentation). Pour l’Europe estampillée AAA (la morgue d’une certaine élite), on ne tarit pas d’arguments malsains (stigmatisation) pour justifier la dérive monarchique du couple carolingien Merkel – Sarkozy. Et condamner un peu plus le peuple grec (fraudeur, assisté, fainéant…) qui par proposition de son premier ministre aura osé prétendre avoir voix au chapitre (référendum local) avant de se plier à une telle cure d’austérité et de pression fiscale que c’est à douter de sa pérennité en tant que nation (délitement du lien social et punition des plus modestes).
Émeute, bavure policière, crise de la représentation, morgue des nantis, stigmatisation, déni démocratique et séparatisme social, sont autant d’ingrédients qui constituent la trop longue crise des banlieues françaises. À jouer des talonnettes et de la cravache contre la Grèce, le Président de la République semble oublier le climat délétère de ces communes populaires qui jouent actuellement leur survie. À moins que sa politique depuis 2007 n’ait été une vaste répétition pour ce rôle de père fouettard en duo avec une valkyrie à poigne. Sait-il que de nombreuses collectivités locales plombées par des emprunts toxiques s’agitent comme des diables pour boucler leur budget 2012 et éviter une faillite ? Sait-il que beaucoup de communes pauvres sans grande latitude fiscale, lancent des cris de détresse auprès de banques chinoises, brésiliennes, japonaises (faute de solidarité bancaire européenne) pour trouver les 15, 30 ou 50 millions qui assureront le fonctionnement du CCAS, le maintien d’une crèche ou des actions éducatives de l’année 2012 ? Sait-il enfin que le pays de l’Oncle Sam a déjà opéré ce virage et que nombre d’institutions locales ont réduit drastiquement leurs actions et mis au chômage technique leur personnel ? Sait-il enfin que la banque des collectivités locales, Dexia, a été mise en faillite et que la reprise de sa dette par la Banque postale et la CDC ne se fait pas sans heurts ?
Si ces constats devraient amener à de la modestie mais aussi à des mesures plus musclées en matière de régulation financière, il y a certainement un point du scénario que trop peu de dirigeants (hormis peut-être Papandréou) n’envisagent : le basculement d’une situation insurrectionnelle vers une guerre civile où l’indignation aurait cédé à la violence et où la démocratie même imparfaite aurait cédé au chaos en Grèce ou dans une autre banlieue d’Europe.
Farid Mebarki
Président de Presse & Cité