
La coordination Pas sans nous, dernière carte pour se faire entendre

"Pas sans nous", syndicat des quartiers regroupant plusieurs dizaines d’associations, s’est constituée en septembre suite au rapport Mechmache-Bacqué sur la participation. Alors que le pouvoir politique paraît impuissant à juguler la crise dans ces quartiers, le tête-à-tête entre politiques et associatifs a-t-il encore un avenir ? Réponse de Nicky Tremblay, co-secrétaire de la coordination.
P&C : Vous militez depuis de longues années dans les banlieues toulousaines, à la lisère entre culture et prévention de rue. Pour vous, quelles sont la spécificité et la réussite de cette coordination ?
N. T. : On a joué collectif, et du bas vers le haut. On a fait un vrai état des lieux région par région, de la situation des associations. Il y a un nouveau style, un nouveau rythme, même si certains ont encore de vieux réflexes quand ils disent : « Il faut que la coordination fasse ceci, cela ». A chaque fois, on répond : « C’est qui la coordination ? C’est vous aussi ! » Mais on a besoin de se former. Et se créer une culture commune, qui ait pour base le rapport, dont la coordination est le bras opérationnel. Il y a un vrai décalage entre les jeunes et les anciens, alors que ça doit être une force. Il y a une question de transmission notamment sur la question de l’engagement, quand on est précaire en particulier, et des relations avec les institutions.
P&C : Justement, il semble que la création de cette culture commune qui permet de négocier avec les institutions est de plus en plus difficile…
N. T. : Dans la région Midi-Pyrénées, ils ont tous été à l’école de la République mais ils ont vraiment faim, ils demandent un outillage pour se mobiliser. Ceux qui ont baissé les bras sont minoritaires. Et certains estiment que face à la violence institutionnelle, il ne reste que la violence physique. Certains jeunes des révoltes de 2005 viennent vers nous maintenant. Cela a été un déclencheur. Les 30 ans de la Marche aussi. Ca a ouvert la porte aux jeunes, qui sont tous sur Facebook, et qui parlent de la coordination, dans le Nord, dans le Centre, à Paris… ça suscite un vrai intérêt, on n’a pas intérêt à se rater. On a tous rencontré des référents quand on était jeune, des personnes qui ont compté pour se construire. Mais ils sont de moins en moins nombreux. Je suis la dernière à faire ça sur le quartier [au Mirail, Ndlr]. Maintenant, les éducs, c’est seulement des agents de l’Etat, des institutions, plus des militants. Ils sont vus comme des prestataires de service, des gens qui viennent toucher un salaire. Les acteurs associatifs font trop silence là-dessus. Et il n’y a plus la présence des partis politiques… Qu’est-ce qu’on peut leur proposer comme espoir ? Je considère que la coordination est notre dernière carte pour se faire entendre. Je refuse d’être complice de ce reflux qui broie des générations entières.
P&C : Quelles sont les premières orientations de la coordination ?
N. T. : Il faut créer une autorité indépendante qui se charge d’un fond d’interpellation citoyenne [dédié au financement des conseils citoyens et tables de quartier, Ndlr], avec une conférence de citoyenne publique. Et créer et faire reconnaître les « tables de quartier » et les « conseils citoyens ». Il y aura besoin d’un rapport de force, les quartiers, c’est dix millions d’habitants.
P&C : Comment se passent les relations avec les pouvoirs publics ?
N. T. : On a un calendrier régulier de rencontres avec la ministre. Elle a déjà remis les préfets sur les bons rails. A Toulouse, on avait demandé un rendez-vous avec Moudenc [le nouveau maire UMP, ndlr] et la sous-préfète. Sans réponse. Grâce à la coordination, un courrier leur est parvenu, on a finalement eu un rendez-vous tout de suite ! Pareil pour la Lettre de la politique de la ville, où il y avait un kit d’emploi des conseils citoyens qui allait à l’inverse de ce que préconise la lettre de référence ministérielle présentée à la coordination ! On a pu demander sa correction. Mais reste la question de la disparité régionale dans la constitution de ces conseils citoyens. Parfois, il y a une volonté affichée des municipalités de faire avec nous, comme à Nantes ; à Angers moins. Et à Marseille, c’est le summum ! Mais avec la coordination, on peut intervenir pour que ça change, c’est un vrai pouvoir. La ministre a fait un courrier incitatif à 800 maires et préfets concernés. Tout ça va plutôt dans le bon sens : obligation de co-construire avec les habitants, notamment les contrats de ville ; report des prises de décision à juin 2015 et pas décembre 2014, afin de donner plus de temps à la concertation ; obligation d’organiser des conseils citoyens… On a aussi obtenu que deux représentants de la coordination, Mohamed Mechmache et moi, siégeons au jury du Cget [Commissariat général à l’égalité des territoires, qui fusionne l’Acsé et plusieurs autres organismes comme la Datar et le Sgciv, Ndlr], qui délivre les bourses pour les conseils citoyens.
P&C : Vous êtes donc optimiste sur ces relations avec les pouvoirs publics ?
N. T. : On ne va pas faire les bisounours : on est écouté, c’est bien. On se met autour de la table mais il faut savoir qu’on peut aussi la retourner ! Les mots d’amour qu’on a toujours eu, c’est bien ; maintenant, il faut des preuves d’amour !