La banlieue: objet politique non identifié

Le 09-12-2011
Par xadmin

Depuis novembre, nombreuses sont les initiatives qui essaient de proposer une alternative politique à l’aune de la prochaine élection présidentielle afin que dans la grande équation électorale, les quartiers populaires ne servent pas d’alibis ou d’épouvantails sécuritaires.

Ainsi les 11 et 12 novembre dernier, le Forum Social des Quartiers Populaires à Saint-Denis s’est conclu par la création d’un « front uni » visant à défendre les intérêts et les droits des habitants des quartiers populaires. Du 25 au 27 à Créteil, se déroulaient les 3èmes rencontres nationales des luttes de l’immigration qui ont finalement permis une déclaration commune fixant des objectifs généraux pour une action coordonnée en faveur de l’auto-organisation des banlieues. Le 3 décembre, c’était au tour de la Fédération Nationale des Maisons des Potes, proche de SOS Racisme, d’organiser un grand oral pour tous les candidats à la magistrature suprême où ils devaient se prononcer sur 10 propositions susceptibles de changer la vie dans les quartiers (seuls certains de leurs représentants feront le déplacement). Le 6 décembre Nassurdine Haidari, le dynamique élu PS de Marseille, proposait aux candidats lors d’une conférence de presse, 5 engagements pour changer la situation. Enfin le 8 décembre à Bagnolet, a été lancé le Printemps des Quartiers par des associations et des acteurs du monde associatif et des médias.

Entre ceux qui veulent d’abord construire un mouvement, ceux qui veulent des engagements immédiats, ceux qui veulent dénoncer la situation des quartiers et ceux qui aimeraient avoir tout à la fois, des nuances et parfois de franches oppositions existent. Pourtant ces démarches, même fragiles, soulignent une volonté commune de ne pas rater le rendez-vous de 2012 et de peser dans les propositions des candidats qui, concernant les quartiers, restent faméliques voire franchement hostiles.

La participation des habitants des quartiers populaires dans les derniers scrutins, caractérisée par une profonde abstention, fragilise la prise en considération d’une situation devenue abrasive. La crise des dettes souveraines, le reflux de la France sur la scène internationale, le décrochage des classes moyennes et l’éternelle insécurité, mobiliseront à coup sûr davantage qu’un vaste plan en faveur des banlieues. D’autant que « les caisses sont vides » ; le moindre euro promis le sera à la lumière d’une impitoyable concurrence pesant et sous-pesant les retours électoraux escomptés. Autant dire que les banlieues partent défavorisées.

Par ailleurs, depuis plusieurs années, les quartiers populaires semblent s’être mués en objet politique non identifié. Si en 1982 le rapport Bonnemaison inaugurait la politique de la ville et proposait une direction au-delà des clivages politiques, force est de constater que la confusion qui règne aujourd’hui dans l’esprit des décideurs et des électeurs, annihile toute tentative pour formuler des propositions même amenées sur un plateau. C’est l’effet boomerang de l’action menée par l’actuel gouvernement qui à coups de diversité, d’identité nationale, d’égalité des chances, de suspicion maladive à l’endroit de l’islam, de constat d’échec du multiculturalisme et d’appel à la défense de la laïcité contre le communautarisme, a tout simplement brouillé tous les repères qui pouvaient relier la question des quartiers populaires à un programme présidentiel. La banlieue n’est plus regardée comme relevant de la question ouvrière, comme défi du contrat social ou comme un enjeu majeur de la question environnementale. Elle est devenue un ailleurs incertain sinon menaçant, un avant poste du chaos social qui vient. Elle est d’autant plus menaçante qu’elle assume ouvertement d’autres identités et d’autres histoires souvent en dissonance avec le récit national. Dans ce concours au rassemblement qu’est l’élection présidentielle, la banlieue est perçue comme l’élément perturbateur, l’imprévisible compagnon de route. Aussi l’évitement, l’abandon et le déni, restent les meilleures parades devant un terrain aussi improbable où les risques médiatiques sont grands et le réservoir de voix si faible. Tous l’ont compris.

À gauche on élude la question ; la prolifique fondation Terra Nova n’a toujours pas fourni de proposition cadre pour la banlieue et Jean-Luc Mélenchon, pourfendeur farouche de toutes les inégalités, se fait encore attendre dans les grands ensembles. À droite, conscient que le siphonage des voix du FN est un pari improbable, Laurent Wauquiez propose de porter l’effort sur la classe moyenne et ses nouveaux pauvres… qui contrairement aux anciens votent encore. De ces capitulations, le thème sécuritaire alimentera la surenchère entre prétendants en emportant au passage toute les autres considérations sur la banlieue. Les incendies de l’automne 2005 semblent bien loin alors que le courage politique s’étiole face au marketing électoral.

Deux mondes s’observent en chiens de faïence, se sachant inutiles l’un pour l’autre.

Farid Mebarki, président de l’association Presse & Cité

 

 

 

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