José Bové : « Il faut toujours ancrer les luttes dans son histoire, sa culture »

Le 15-10-2012
Par Erwan Ruty

Le député écologiste européen s’est fait connaître en luttant contre la malbouffe ou les OGM. Mais cela fait plus de quarante ans qu’il promène sa moustache sur bien des luttes, et notamment sur les plateaux du Larzac. Une histoire loin des banlieues ?

 
Lutter contre l’extension d’un camp militaire aux dépens des paysans de l’Aveyron paraît loin des banlieues, kilométriquement parlant. Mais en matière de mobilisation, c’est moins sûr… car dans els deux cas, des anonymes, considérés comme peu de chose, ont dû lutter (pacifiquement) contre des institutions infiniment plus fortes qu’eux : l’armée, et donc tout un Etat ! Et ils ont vaincu ! Une histoire à la Astérix contre les romains qui a durée plus de 10 ans, jour après jour… Une expérience que José Bové relate et compare.
 
Qu’est-ce qui a lié les 107 familles de paysans aveyronnais pendant aussi longtemps contre bien plus fort qu’elles ?
D’abord, on est sur un territoire précis, comme dans bien des quartiers. Ensuite, il y avait un isolement, là aussi comme on peut l’être dans certains quartiers, ou immeubles. Les paysans ont réagi face à une menace extérieure : l’adversité a rassemblé… Et puis, ils ont créé un dénominateur commun : ils ont fait un serment, celui qu’aucun d’entre eux ne vende sa terre à l’armée. Ca a lié les gens entre eux, entre deux et trois cent personnes. Il y a aussi eu le fait de pouvoir se rencontrer régulièrement : une assemblée générale par semaine. Les gens venaient ou pas, mais toutes les décisions s’y prenaient, collectivement, et uniquement par consensus : pour unifier un groupe, c’est très fort. C’est comme ça qu’on construit une légitimité. 
 
Il n’y a pas de groupe social chez lequel l’engagement serait interdit. 
 
Comment une lutte naît ?
Les gens inscrivent leur résistance à partir de leur culture, de leurs habitudes, de leurs pratiques. Pas de l’extérieur. Ainsi, dans le Larzac, le premier lieu de débat s’est constitué autour des aumôniers, des Chrétiens en monde rural [un mouvement d’éducation populaire alors actif dans les campagnes, NDLR]. Ces chrétiens disaient : « Il est légitime de dire non au nom de notre foi, même à un projet mené par l’Etat ». A la fin de la grève de la faim de Lanza del Vasto [l’un des soutiens à cette lutte, philosophe chrétien proche de Gandhi, NDLR], les évêques de Rodez et de Montpellier sont venus jeûner. Il faut toujours ancrer les luttes dans son histoire, sa culture. Il n’y a pas de groupe social chez lequel l’engagement serait interdit. 
 
Allah ! Allah ! Gardarem lou Larzac !
 
Il y aussi eu beaucoup de soutiens extérieurs, qui ont apporté leur culture militante d’extrême-gauche…
Le nombre de familles qui se sont installées pour soutenir était limité, une dizaine tout au plus. Mais le leadership est resté à ceux qui habitaient initialement sur place. Dès 1973, des liens se créent autour des questions Nord/Sud. Les paysans exportent du blé, ils sont contre l’extension d’un camp militaire, on dit : il faut créer des solidarités pour lutter contre la faim en Afrique, et s’opposer aux ventes d’armes. Il y a même des liens qui se créent avec des syndicats d’immigrés, un disque enregistré par des marocains chante « Allah ! Allah ! Gardarem lou Larzac ! » [« Nous garderons le Larzac », slogan d’alors en langue occitane locale, NDLR]. A notre tour, nous sommes montés en solidarité avec les foyers Sonacotra de Gonesse… Il faut savoir que la Marche pour l’Egalité, qui s’est tenue juste après la victoire du Larzac, a été initiée par Christian Delorme, un prêtre ouvrier qui était avant membre d’un Comité Larzac, et objecteur de conscience. Les Comités Larzac ont aidé la marche sur certaines étapes, et l’ont accueillie à son arrivée à Paris. 
 
Il n’y a pas d’adversaire insurmontable
 
Quelles leçons tirer de cette histoire ?
Que rien n’est joué d’avance ! Il n’y a pas d’adversaire insurmontable. Les vrais combats payants s’inscrivent dans la durée. Aujourd’hui, on est trop dans le zapping. Tout combat, tout « non », construit une suite qui sera positive, après. Nous, on a par exemple ensuite décidé de gérer le foncier dans une logique collective. La lutte transforme. Poser un débat sur une question très ponctuelle, par exemple sur des démolitions d’immeubles, peut être un levier pour peser sur autre chose de plus global. Il ne faut en tous cas jamais plaquer des recettes extérieures : tout doit venir de discussions entre les initiateurs des luttes. 
 
 
Propos recueillis par Erwan Ruty
 
 
 

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