Joël Pain, FinanCités : « Les banlieues, c’est pas le PSG »

Le 28-08-2012
Par Erwan Ruty

Sis dans les beaux quartiers de l’Ouest parisien, le groupe PlaNet Finance développe des programmes au service de l’entrepreneuriat dans les quartiers. Son directeur général, Joël Pain, évoque avec nous la place des entrepreneurs des quartiers dans un contexte économique anémié. PlaNet Finance en France, connu pour être l’un des mille et uns projets lancés par Jacques Attali, déploie deux programmes : PlaNet finance France (association d’accompagnement des entrepreneurs) et FinanCités (capital risqueur solidaire). Joël Pain mène depuis plusieurs années ces programmes dans les territoires de banlieue, économiquement en difficultés. Il nous reçoit, à l’heure où l’on parle de « redressement productif ». Quelle place y voit-il pour les entrepreneurs des quartiers ?

 

Les banlieues, ce n’est pas parce qu’on va y mettre des millions que ça va changer. Ce qui intéresse le Qatar, c’est le PSG, LVMH… pas les banlieues.
 
Le Qatar, après d’autres, a créé des espoirs en annonçant un plan de 50 millions d’euros en directions des banlieues françaises, de manière assez inattendue. Il n’en a finalement rien été. Que penser de ces bonnes fées qui veulent aider financièrement les quartiers ?
Les banlieues, c’est pas le PSG. Ce n’est pas parce qu’on va y mettre des millions que ça va changer. Les quartiers ne sont pas homogènes, c’est un patchwork. Une culture différente, comme au Qatar, ne connaît pas les quartiers. Nous, on a tout de suite dit : ça va décevoir. C’est comme annoncer un cadeau de Noël qui n’arrivera pas. Ca a créé un appel d’air de projets. Mais les gens comprenaient « assistance », et pas « entreprenariat » : tel projet se demandait comment financer la réparation des ascenseurs de sa cage d’escalier... Après une telle expérience, les gens ne peuvent que se dire : « laissons tomber ». Jamais il n’y a eu d’explication de la part du Qatar sur ce qu’ils voulait faire… Ca a énervé les pouvoirs publics, avec un risque de renonciation à une souveraineté. Ils se sont dit : « On va devoir agir différemment » ! Mais Leroy, lui [ancien ministre de la Ville de François Fillon, NDLR], trouvait ça formidable !  Qu’ils se félicitent que des gens fassent le boulot à leur place les contentait ! Ca ne donne pas confiance en la capacité du gouvernement à résoudre les problèmes. Depuis que Sarkozy n’est plus là, on n’en entend plus parler. Ce qui intéresse le Qatar, c’est le PSG, LVMH… pas les banlieues. C’est de l’esbroufe ! Aider au redressement productif, c’est bien, mais c’est cinquante milliards d’euros dont on a besoin ! 
 
Chacune de nos entités compte trois salariés qui viennent de ces quartiers. Ils connaissent, les lieux, les gens, et ils peuvent aller en bas des immeubles sans revenir tous nus.
 
Quelle est votre connaissance des quartiers ? 
Le terrain, PlaNet finance France le connaît par le biais de nos dix implantations, à Clichy-sous-bois, à Aulnay, à Sevran, à Poissy, aux Minguettes, à Marseille ou Orléans… Chacune de nos entités compte trois salariés qui viennent de ces quartiers. Ils connaissent, les lieux, les gens, et ils peuvent aller en bas des immeubles sans revenir tous nus. On fait une détection, par exemple avec des gens comme Mohamed Mechmache [président de l’association AC Le feu], puis un accompagnement, gratuit, pour construire un projet. Tout cela nous coûte en moyenne 4000 euros. Comparé au coût des dispositifs sociaux, c’est un bon investissement. On a créé près de 1000 entreprises depuis 2007, dont plus de 300 en 2011. On couvre environ vingt quartiers, on voudrait en couvrir cent cinquante ! FinanCités, elle, aide les entreprises qui ont un potentiel de croissance, et des gens qui n’arrivent pas à investir pour faire face à une nouvelle demande, ou alors qui n’ont pas de réseau relationnel pour trouver des marchés… Nos partenaires y voient un bon modèle, qu’il s’agisse du public comme Pôle emploi, l’ACSé ou la Caisse des dépôts ; ou du privé comme Publicis, la BNP ou PSA…
 
Comment PSA soutient les quartiers, alors qu’il y ferme des usines ?
En aidant à la création d’entreprise via, parfois, des salariés de chez eux, pour trouver des résonances en terme de développement local, comme à Poissy : toutes les associations locales sont venues lors d’une réunion de lancement de nos projets, comme des habitants du quartier. Ils étaient contents de voir des gens comme nous s’intéresser à eux. Il y a de l’argent pour les quartiers ! Mais les gens ne connaissent pas les dispositifs, qui sont atomisés et complexes. Nous, on complète le micro-crédit, et on se substitue au financement bancaire. Mais on reçoit peu de dossiers par rapport à ce qu’on devrait ! Il devrait y avoir la queue en bas de nos agences ! Il y a autant de gens qui ont envie et sont capables de créer des entreprises dans les quartiers qu’ailleurs !
 
Souvent, dans les quartiers, ceux qui ont des idées les développent à travers des associations. Est-ce un palier utile ?
On le déconseille. Ca engendre trop de rigidités, trop de soucis pour ceux qui ensuite veulent passer au privé. En Guadeloupe, par exemple, on en voit les excès : des dispositifs dérogatoires finissent par créer des chasseurs de prime, de subvention pour vivre six mois de plus. Il veut mieux être auto-entrepreneur. Mais pourquoi pas ? Il faut surtout rester pragmatique…
 
il faut juste voir ce qui se passe ailleurs, et se demander pourquoi il n’y a pas la même chose sur place. Une sandwicherie implantée à côté d’une petite entreprise, d’une école, c’est un marché assuré.
 
Quel type d’entreprise peut-on créer quand on n’a pas beaucoup de réseau, de capital, ou de formation ?
Tout ! Une boulangerie, des cafés : il faut juste voir ce qui se passe ailleurs, et se demander pourquoi il n’y a pas la même chose sur place. Une sandwicherie implantée à côté d’une petite entreprise, d’une école, c’est un marché assuré. Il faut juste rester simple. Les ongleries, les extensions de cheveux, les gens auront toujours 20 euros pour ça. On peut même commencer à domicile. A Clichy-sous-bois, quand on a un boulot, on a du mal à y aller, en raison des problèmes de transport, de l’éloignement : il faut donc créer de l’activité sur place. Mais pour cela, dans un environnement entrepreneurial difficile, sans aide, les gens auront du mal à s’en sortir. 
 
Il faut cibler les aides et faire du chirurgical. Et arrêter de distribuer de l’aspirine partout
 
Que pensez-vous aux aides diverses qui sont allouées au secteur économique dans les quartiers comme les Zones franches, ou à la proposition des « Emplois francs », proposée par La Nouvelle PME et reprise par François Hollande ?
C’est un nouvel avatar du tâtonnement étatique dans les quartiers. Je suis hostile aux ZFU, sans doute plus de la moitié des entreprises y sont par effet d’aubaine. Quant aux allègements de charges, ils profiteraient aussi à des gens que l’on aurait de toute manière déjà embauché. Et ça marcherait pour les très grandes entreprises, sans changer grand chose pour les petites. Il vaut mieux identifier des acteurs locaux qui peuvent transformer les aides en emplois. Il faut sortir de l’assistanat. Les Plan Marshall, les Grenelle des quartiers, on l’a entendu dix fois, c’est pour se faire plaisir. Il faut cibler les aides et faire du chirurgical. Et arrêter de distribuer de l’aspirine partout par peur de faire du mal avec d’autres remèdes. L’essentiel, c’est l’éducation, la formation ; et oui, c’est au secteur public d’assurer ça. En envoyant les meilleurs, les plus solides dans ces quartiers. 
 
Propos recueillis par Erwan Ruty
 
 

 

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