
« J’irai dormir chez vous », dans le 9-3

« Vous en avez assez de ne voir les banlieues que par le prisme de certains médias qui privilégient le spectaculaire sans voir la richesse de la vie en banlieues ? Venez approcher la réalité d’activités au long cours, découvrir des sites historiques reconnus et d'autres plus contemporains. Vous pensez qu’il n’y a rien à voir en banlieue ? Venez discuter avec des bénévoles, commerçant-e-s, élu-e-s, créateurs, acteurs de la vie locale. » Donner une autre vision de la banlieue, c’est la mission que tentent de relever une trentaine d’habitants de Seine-Saint-Denis qui, fin 2010, s’est constituée en association : Accueil Banlieues.
Le nom choisi n’est pas anodin, il fait référence à une association plus connue, « Accueil Paysans ». Cette association créée en 1997 est constituée de paysans qui pratiquent l'accueil en chambre d'hôtes, en gîte rural. « L’accueil se base sur la qualité des relations humaines et la volonté de créer du lien social à travers leur rôle éducatif et pédagogique. Ils [les paysans] souhaitent faire découvrir leurs métiers, leur mode de vie, leur environnement ; partager leurs connaissances, leurs savoir-faire, leurs activités », est-il détaillé sur leur site internet. Accueil Banlieue a donc décidé d’appliquer le même crédo mais aux habitants des quartiers populaires. Ces derniers vous invitent à visiter des coins de leur département et voir par vous-même ce qu’il s’y passe au-delà des images véhiculées par médias.
Sortir des clichés
Cela peut prendre plusieurs formes : l’accueil chez les habitants pour une ou plusieurs nuits, la visite du quartier ou juste une invitation à passer un moment convivial chez l’un deux. « C’est une manière de valoriser les quartiers populaires et leurs habitants. Pour le moment, ce sont essentiellement des gens de Province qui ont fait le déplacement mais on commence à avoir des parisiens, surtout des étudiants qui veulent en savoir plus sur ce qui se passe derrière ce fameux périph », précise Mathieu Glaymann, co-fondateur de l’association avec sa compagne Marie-Pierre Agnès, résidents d’un petit pavillon avec jardin, aux abords d’un grand ensemble à Epinay-sur-Seine. Tout est parti d’une idée simple. « Comme les Greeters (1) à Harlem qui permettent aux touristes de découvrir la face cachée du quartier et de sortir des sentiers battus, nous avons voulu montrer la diversité de nos quartiers. Il y a plein de choses à visiter : le marché de Saint-Denis, la cité-jardin de Stains, les puces de Saint-Ouen, L'Île-Saint-Denis et de ses deux bras de Seine. Pour autant, on ne cherche pas à masquer des réalités plus dures. Ce qui compte pour nous ce sont les rencontres avec des habitant-e-s des quartiers populaires et avec leurs actions qui sont souvent mésestimées, y compris par les institutions."», explique-t-il. Une initiative qui été reprise par le Comité départemental du tourime du 93 qui lance un appel aux bonnes volontés: "Vous trouvez l'idée originale et habitez en Seine-Saint-Denis ? Ouvrez votre quartier au monde entier et devenez Greeter vous aussi !"
Le choix de vivre en banlieue
« Pour moi, cela n'a pas été une contrainte de venir vivre ici », raconte ce quadra qui a toujours vécu en banlieue et cela par choix. Pour une modique somme, les adhérents d’Accueils Banlieues vous accueillent en chambre d’hôte chez eux. « Cela doit être une chambre individuelle, avec l’accès facile aux sanitaires. On exige le minimum de confort, comme fournir des draps propres, le petit déjeuner etc. Et on fait attention à ne pas mélanger des hommes ou des femmes seules. Pour le reste, on compte sur le bons sens des deux parties. C’est facturé 15 euros la nuit par personne. Cela peut-être aussi un complément de revenus pour l’accueillant. Même si la plupart le font plus par militantisme !
Une découverte pour les habitants et les visiteurs
«Souvent les habitants nous disent « j’ai rien à montrer ! », puis ils découvrent des coins qu’ils ne connaissaient pas, ou des lieux auxquels, ils n’auraient pas pensé. C’est ça qui est génial. C’est ce partage. Attention, on ne verse pas non plus dans l’angélisme. On ne fait pas de ballades la nuit par exemple. »
Lors de ces promenades, une visite est également rendue aux commerçants : « Ce sont des observateurs de premier ordre sur la vie du quartier. Nous avons une fleuriste par exemple qui aime raconter comment elle a changé ses commandes pour mieux s’adapter aux demandes des habitants qui achetent plutôt des compositions florales pour des occasions. Elle recommence à vendre pas mal de Rose à l'unité par exp. »
Car l’idée directrice est de créer une interaction entre les habitants et ces touristes atypiques. « Comme ailleurs, on explique aux gens qu’il faut demander l’autorisation avant de photographier une personne. On fait des visites en petit groupes, 5 à 6 personnes pas plus. On explique bien aussi que nous sommes pas des guides ni des sociologues, des urbanistes, des historien-ne-s ou des géographes.Comme la coopérative "Hôtel du Nord" à Marseille, nous voulons participer à revaloriser les mémoires des habitants très divers des quartiers populaires. Nous parlons de "banlieues" et non de "banlieue", car Neuilly-sur-Seine n'équivaut pas à Neuilly-sur-Marne, le Raincy à Epinay-sur-Seine ou Versailles à Achères. Nous sommes dans des banlieues fertiles, même si de nombreux habitants ne le voient pas ou n'y croient plus. C'est dans les quartiers populaires que se construisent plein d'alternatives au modèle social et économique dominant et dans le 93, nous sommes in vivo un "territoire-monde" avec ses réussites et des échecs."
Des promenades de ce type sont également mises en place, pour aider des femmes africaines, primo-arrivantes qui maîtrisent mal le français : « Souvent, elles sont envoyées d’une administration à une autre. On a donc organisé des circuits entre la mairie, la gare, le pôle emploi, pour leur permettre de bien se situer ».
Au 14 février 2012, une quarantaine d'hébergements était possibles en Seine-Saint-Denis, et de nouveaux lieux d’accueil sont en cours de préparation dans d'autres départements franciliens. "Et comme l'a montré un colloque récent sur le "tourisme en banlieue Nord" organisé à La Courneuve par Plaine Commune, il va y avoir une demande forte liée aux nouveaux touristes notamment des BRIC (2) qui aiment souvent des villes métissées et avec les familles des habitants des quartiers populaires qui viennent y voir leurs familles et aiment autant des sites en banlieues que les sites prestigieux du Paris musée d'hier," conclut Mathieu Glaymann.
Nadia Hathroubi-Safsaf
Pour en savoir plus : http://accueilbanlieues.blogspot.com
(1): Habitants bénévoles qui font visiter leurs quartiers aux Etats-Unis
(2): Acronyme anglais qui désigne le groupe de pays formé par le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine