
Ilham, Ali, Almamy et la gauche piégée

Le programme commun hier, la gauche plurielle il y a peu, et aujourd’hui, au détour d’une élection régionale, la gauche solidaire. Chaque scrutin génère son lot de tractations sourdes, d’étripages au clair de lune, de petits consensus et de grands renoncements. Heureusement les communicants sont là avec leur plâtre sémantique pour rendre désirable le pire des combats de chiens.
En ayant prouvé qu’ils pouvaient avaler des couleuvres comme le réacteur Iter à Caradache et négocier, couteau entre les dents, des tickets dans les exécutifs régionaux, les Verts sont finalement devenus un parti. Et cessent, au grand regret peut-être de Daniel Cohn-Bendit, d’être cet espace délibératif salutaire qui les a aussi longtemps cantonnés au rôle de supplétifs du PS. Si la rue de Solférino s’autorise à envisager 2012 autrement que par le prisme de la défaite, elle devra néanmoins renaître après le jeu de massacre mené par tous ceux qui veulent prétendre à l’investiture. Ces perspectives bien qu’incertaines, semblent apporter quelques lueurs dans les cœurs nostalgiques du « peuple de gauche ».
Peuple qui depuis ses campagnes ou ses quartiers périphériques, dit tout autre chose : il ne joue plus à ce jeu. En refusant massivement de participer à cette élection, une partie de l’électorat adresse peut être plus qu’un mécontentement. Ni la captation par l’extrême droite des déçus du sarkozysme ne peut cacher l’ampleur de la débâcle. Ne pas participer à la vie démocratique ne peut s’expliquer uniquement par les sautes d’humeur d’un électorat qui ne s’estime pas entendu. Dans les quartiers populaires où l’abstention atteint des taux inédits, ce n’est pas un rappel à l’ordre que la population tonne à ses représentants ; c’est juste la manifestation du séparatisme social qui depuis plusieurs années est à l’œuvre. En laissant en jachère une politique de la ville moribonde, en criminalisant à outrance des pans entiers de la population, en voulant mordicus imposer le tout économique et le tout sécuritaire, en accélérant la précarité de familles entières par le saccage des services publics et en recherchant jusque dans les âmes des signes d’appartenance à la nation française, les dix dernières années ont bel et bien généré un ghetto français. L’abstention n’est qu’une conséquence de la paupérisation des habitants des quartiers. Elle est aussi un constat d’absence de passerelles entre ces territoires et le reste de la société. Aucun parti, aucun syndicat, aucun mouvement d’éducation populaire, aucune lutte, n’est en mesure de créer une alternative. Le ghetto est laissé à lui-même, prêt à s’embraser à la moindre étincelle.
Et pourtant cette élection a aussi connu, à doses homéopathiques, des tentatives d’ouverture vers ces quartiers et ces citoyens abandonnés. Le NPA a osé intégrer dans sa liste du Vaucluse Ilham Moussaïd, une militante de 22 ans portant le foulard mais portant aussi d’autres sensibilités à l’endroit du féminisme ou des combats sociaux. La gène de certains militants du NPA a été suivi du blâme unanime de la classe politique, accablée par cette candidature iconoclaste à des lieux de leurs représentations. Ali Soumaré, chef de la liste du PS dans le Val d’Oise et acteur engagé auprès des familles de Villiers-le-Bel durant les émeutes de 2007, subi une attaque calomnieuse digne des pires heures de la République. Le PS s’affole, doute et rend visible ce malaise qu’il entretient depuis 30 ans avec ses militants venus des quartiers. Enfin en Ile-de-France, Almamy Kanouté tentera l’aventure loin des partis en animant une liste largement composée de militants des quartiers populaires. Avec un programme inspiré d’initiatives du terrain, la démarche montrait que même sans moyen les banlieusards sont largement capables de se prendre en main.
A l’heure des bilans, Ilham Moussaïd ayant rompu avec son parti a fait l’objet de critiques « sans tabou » lors du conseil national du NPA. Ali Soumaré, malgré un score très honorable dans le Val d’Oise, n’a obtenu aucune vice-présidence. Deux exemples qui montrent encore une fois la paralysie qui saisit les partis dès lors qu’il s’agit de composer avec des acteurs dont les références, les parcours ou les sensibilités, différent des consensus internes. La gauche, malgré les expériences parfois douloureuses d’un PS pusillanime sur ce thème, peine à tirer un bilan collectif de ces questions, alimentant inévitablement cette abstention et ce séparatisme dont ils se proclament les adversaires.
Quant à Almamy Kanouté, l’aventure veut devenir une dynamique. Les rencontres se multiplient et les débats s’organisent toujours loin des partis. Ce que les nuits d’émeute n’ont pas réussi à imposer, pourra peut-être trouver une issue dans ce type de démarche : instaurer un véritable rapport de force en faveur des banlieues.
Farid Mebarki - Président de l'association Presse & Cité