«Il faut rompre avec la France à la papa, à la Jules Ferry !»

Le 13-06-2012
Par xadmin

Jonglant de digressions sur la boxe en éloges inattendus de Deng Xiao Ping ou de DSK, voire de Sarkozy, pour aussitôt les réfuter, il n’a qu’un seul mot à la bouche : moderniser. L’administration, la politique, la France. Tout, tout de suite, parce que ça ne peut plus durer. Entretien en 6-4-2 entre deux RER et trois rendez-vous. Une question, 45 minutes la réponse d’une seule traite. Gatignon, c’est la fureur de vivre son mandat à fond les ballons. C’est une punchline par phrase. C’est Mohamed Ali + Joe Frasier dans le même corps. Ca vole comme le papillon, ça pique comme l’abeille ; et en plus, ça cogne comme le boeuf. C’est lumineux, intense, une pensée stroboscopique. C’est une foi inébranlable dans le peuple des quartiers populaires. On voulait le voir pour conclure sur la place des banlieues dans l’économie et la société française de demain, mais demain, c’est trop loin. Accrochez-vous à votre chaise, prenez votre respiration, ça va vite et ça défrise. 

L’économie de Sevran c’est quoi ?

La ville désindustrialisée des années 80, c’est entre trois et cinq mille salariés de moins ; la fermetures des usines dans les années 90, c’est sept mille emplois en moins… On est à la fois près des zones d’activité tout en étant enclavé. On se contente du commerce et des micro-entreprises. Le développement économique ne peut se concevoir en terme de quartier ; mais plutôt de territoire. C’est le territoire le plus jeune, le plus dynamique, le plus complexe. C’est l’avant-garde de demain, mais avec une fuite des cerveaux. On est mélangé avec des gens du monde entier, qui te permettent d’aller à la bataille. Les gens se rendent compte que le monde d’ici n’est plus fait pour eux. On nous bassine avec l’insertion, mais les mômes doivent faire 25 stages pour espérer un CDD… Beaucoup ont fait des études, ils vont à Londres, ils créent des marques ; on a un gars qui a fait le clip de Prodigy, un autre qui ouvre une boulangerie à New-York, Bakaly Traore est au Milan AC... C’est les USA, l’Australie, Berlin… Ils sont dans le monde de demain. Y compris ceux qui sont dans le business, les trafiquants ! Le patch à l’héro, c’est aussi le monde de demain ! Ils ont de bons comptables, d’excellents avocats, ils savent blanchir au Moyen-Orient ! Il ne faut pas avoir une vision paupérisée de notre territoire. La seule question, c’est : comment on arrive à redéfinir des politiques locales et un développement du territoire qui favorise ça ? 

Qui peut mener ces politiques, justement ?

Le ministère de la ville doit être dans tous les groupes de travail. L’Anru, la rénovation urbaine, ça ne suffit pas. Je suis à fond pour le Grand Paris, mais pas pour le cluster de l’habitat que le gouvernement d’avant voulait ! Les terrains de foot, le loisir, il les faut ici, chez nous, pas la peine d’aller chez Mickey à l’autre bout de l’Île-de-France ! Il faut des innovations, du sport, de la culture, des nouvelles technologies, de la rénovation écologique, de l’agriculture urbaine, réimplanter des maraîchers en Île-de-France, des jardins partagés. Le commerce, l’industrie vont changer. La ville sera plus compacte. Les grandes surfaces traditionnelles en boîte à chaussure, c’est fini. L’avenir, c’est les city markets. On a un data center, on a inauguré deux boîtes cette année, ça ne m’était jamais arrivé ! Il faut créer trois-quatre mille emplois dans les dix ans qui viennent : on va être près de Roissy, du Bourget, de Pleyel. Il faut le Cnam, il faut faire venir les institutions, les ministères ici. Pourquoi pas celui des Sports à Sevran ? La vraie zone d’avenir, le centre de demain, c’est ici, près des lignes qui vont vers toute l’Europe ! Il faut rompre avec la France à la papa, à la Jules Ferry ! 

Les objectifs du Grand Paris ne paraissent pourtant pas très clairs au grand public…

La question, c’est la métropole parisienne, pas le Grand Paris. La crise n’est pas que financière, mais de production : on produit quoi, pour qui ? C’est aussi la question du logement, de l’urbanisme, de l’énergie, des transports. L’avenir, c’est le local. Le Grand Paris, c’est le Medef. Paris est en déclin, ce n’est plus attractif. La vision en cluster est une vision libérale à l’opposée des circuits courts travail-habitat. C’est de l’économie à l’ancienne avec les clusters, des transports qui les relient, et la ville qui se construit autour. Les Zac multisites avec un pouvoir métropolitain et le logement à l’Est va amplifier la ségrégation. Il faut du courage pour lutter contre. C’est décidé par des technocrates à la papa ! Les Ponts et chaussées structurent l’espace. Il ne faut pas tout laisser à la technostructure, il faut de la politique. Avoir des idées pour gérer les milliards d’euros de l’Anru. Notre système n’est pas le plus égalitaire. Les Beaudottes, c’est une passoire énergétique. Les charges, dans les années à venir, ça va être exponentiel. C’est la quadruple peine : trafic, charges, chômage, pas de transports… Quand je fais du HQE ou du BBC, quand je fais des économies d’énergie, je fais aussi de l’économie, de l’emploi, même si pour l’instant, je dois travailler avec les Allemands ou les Chinois ! Il faut de l’auto-consommation ! 

Mais qu’est-ce qu’on peut relocaliser ici ?

D’abord, il faut une réforme de la fiscalité locale. On ne peut pas payer plus d’impôts en Seine-Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine ou à Paris. Il faut de l’équité, même pas de l’égalité. Tout le monde paie l’impôt local, même les plus pauvres ! Sevran à -35%, Tremblay à +42%, le monde va exploser !
Oui, mais sur qui s’appuyer pour conduire cette politique ? Fadela Amara n’a rien pu faire notamment faute de soutiens, de lobbies pour l’accompagner, la relayer…
Les nouveaux lobbies, c’est Teddy Riner ! Il faut une nouvelle vision des communautés d’intérêt. Dans les grosses boîtes, il y a des gens qui sont intéressés pour venir chez nous. Les TPE, les PME, il leur faut des réductions de charges. Il faut arrêter les Zfu et les trucs microscopiques. Ou alors pour tout le territoire. Il faut un truc global.
Oui, mais les grandes entreprises qui viennent ici, comme à La Plaine, risquent de ne pas beaucoup embaucher sur le territoire. Luc Besson le dit lui-même : il embauchera les meilleurs pour sa cité du cinéma, même s’ils sont en Hongrie…
Besson a raison : quand tu fais une entreprise, tu dois avoir les meilleurs, sinon, tu t’effondres. Et les meilleurs viendront : pas seulement de l’étranger, aussi de Seine-Saint-Denis. Mais qu’est-ce que tu leur offres pour qu’ils fassent leur vie ici ? L’arrivée du métro va quand même tout changer chez nous. Il faut arrêter avec les communes. Les maires sont des barrons, il faut des communautés d’agglomération comme à Lyon. L’enjeu, c’est de rompre avec le ghetto, avec l’éloignement. Il faut accepter le cosmopolitisme et ses contradictions.
 

Propos difficilement recueillis par Erwan Ruty

 

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