
FSQP 2011 : « S'unir ou mourir » ?

« S'unir ou mourir », c'est finalement l'alternative qui s'est imposée au fil des débats qui ont ponctué cette quatrième édition du Forum Social des Quartiers Populaires, qui s'est tenue à l'Université de Saint-Denis, les 11 et 12 novembre 2011… Alors que la formule initiale était un peu moins dramatique : "S'unir ou subir" (1). Témoignage d’un essoufflement, ou alors d’une volonté de passer vers une organisation politique ?
Ce Forum a en tous cas été l'occasion d'observer des avancées notables dans le projet de structuration d'une « force politique autonome ».Crée en 2007 par plusieurs associations et organisations historiques travaillant sur les problèmes touchant les quartiers populaires (tels les violences policières, la double peine, le racisme, les discriminations, l'islamophobie, le logement, le chômage ou l'échec scolaire), le Forum se donnait pour objectif d'être une « une étape, un lieu de convergence de militants des cités et d'ailleurs. Un lieu de confrontation des différents mouvements qui agissent pour les cités. Un lieu de débat sans concession avec les mouvements sociaux et syndicaux qui se sont souvent éloignés de nos quartiers… et qui veulent y revenir… », selon les principes du premier Forum.
Le FSQP s’ouvre
Une cette étape qui semble avoir un peu trop duré pour les membres du réseau qui coordonnent l'initiative, soit principalement Divercité (à Lyon), le Takticollectif (à Toulouse) et le Mouvement Immigration Banlieue (à Paris). Les dialogues avec les « forces de gauche » (partis comme acteurs syndicaux) semblent plus que jamais dans l'impasse, après diverses tentatives d'instrumentalisation, notamment illustrées par le débauchage récent par le Front de Gauche d’un membre du FSQP de Montpellier. Débauchage douloureux qui sera dénoncé avec virulence à la tribune des intervenants… Autre expérience insolite, l’intrusion inopinée de Patrick Lozès, ex-UDF, responsable du CRAN et candidat aux présidentielles, pour un coup de communication. Arrivée, prise de parole, filmage par ses partisans, départ. Aucune volonté de discussion avec les organisateurs de la rencontre…
Enfin, sont évoquées différentes expériences d'engagement électoral sur le plan local, qui ont montré leurs limites, comme celle des Motivé-e-s, dont le leader, Salah Amokrane (du Taktikollectif) est par ailleurs le président du Forum. Mais il n’y a pas que des engagements mitigés : Mohamed Mechmache (d’AC Lefeu) est fier de pouvoir compter six élus d’une liste « Affirmation » au conseil municipal de Clichy-sous-Bois (et la deuxième force aux législatives de 2007). De même, Almamy Kanouté (d’Émergence, et conseiller municipal de Fresnes) s’amuse : « Avant, les politiques m’appelaient le barbu des quartiers, maintenant Monsieur Kanouté ». Ainsi, tout comme les Indigènes de la République, qui tentent depuis des années de se constituer en parti capable de peser, il s’agissait pour le FSQP de renouveler les membres du réseau afin d’opérer un « passage de relais ». Des années de militantisme en marge ont conduit à reconsidérer l'urgence d'un rassemblement face à « l'essoufflement du réseau militant ».
Des nouveaux venus et des anciens revenus
La dynamique unitaire semblait pouvoir l'emporter sur les divergences et les conflits d'ego : d'une part, de nouvelles organisations (avec Emergence ou la Brigade Anti-Négrophobie) et militants (Khalid Elhout pour Justice pour le Petit Bard) ont participé aux débats. D'autre part, le travail engagé sur l'histoire des luttes semble avoir permis d'apaiser les antagonismes à travers le partage d'une histoire commune. La mise en perspective de Saïd Bouamama, ou encore l'expérience de Khemissi Djataou, du Mouvement des Travailleurs Arabes, ont ainsi permis de rappeler les mobilisations exemplaires (grève de la faim, des loyers, grève générale et manifestations de masse contre le racisme ou en soutien à la Palestine) qu'ont su réaliser les générations précédentes dans des contextes autrement plus difficiles (violences policières généralisées, meurtres racistes, précarité de conditions de séjour, nationalisme algérien post-indépendance). « Attaqué de toute part », le MTA avait néanmoins le soutien des étudiants de mouvements d'extrême gauche autant que de chrétiens de gauche. La transmission de cette mémoire est aussi passée par le vecteur artistique avec le théâtre du collectif « Quelques Unes d'Entre Nous » et l'histoire de l'émigration inspirée des textes d'Abdelmalek Sayad ou la danse sur le thème du 17 octobre 61, par la Compagnie No Mad.
La délicate structuration politique
Quelques faiblesses sont cependant pointées par les participants : la faible représentation féminine (ce qui fera dire à Alima Boumediene-Thiery, ex-Sénatrice EELV d’Argenteuil : « Nous ne pouvons pas critiquer le comportement des autres partis en matière de diversité et n’avoir aucune femme à une tribune où s’expriment huit hommes » !). Mais aussi, un certain côté « ghetto » : « Pour être un parti politique crédible, il faut aussi parler de la vie de tous les jours : les profs qui manquent, les supermarchés qui ferment, et pas seulement de nos quartiers ou des grandes causes générales. Il faut montrer qu’on n’est pas des galériens révolutionnaires ! Il faut aussi de l’amour, du plaisir ! » Cri du cœur d’un père de famille quadra de Meaux, assurément en décalage avec l’ambiance parfois rageuse des jours de débats…
Au final, le Forum a abouti à la rédaction d'une déclaration commune appelant à la création d'un mouvement politique autonome. Il est prévu qu'elle soit soumise à discussion et à ratification auprès de la base des associations et des différents réseaux locaux jusqu'au 27 novembre. A cette date, une nouvelle rencontre intitulée « Vers un front uni des organisations de l’immigration » devait, à Créteil, et autour de la mémoire de Frantz Fanon, permettre de poursuivre cette démarche de rassemblement. Une rencontre qui a entériné la « création immédiate d’un mouvement politique susceptible de représenter les intérêts des quartiers populaires et des immigrations ». Et d’un « front uni des immigrations et des quartiers populaires qui n’a pas vocation à remplacer les organisations existantes mais d’être l’expression politique de notre expression commune ». Un acte fondateur qui ne témoigne de rien encore de très concret, révélateur des difficultés du passage au politique.
Ainsi si la « nécessité vitale » de l'union a rencontré un consensus assez large, certaines difficultés restent de toute évidence à venir concernant le type de structure à adopter (mouvement, réseau, parti), le type d'actions, le positionnement face aux élections, à aux candidats, aux alliances, aux financements ou encore au choix du mode de représentation et de prise de décision. Les mois qui viennent vont s'avérer décisifs pour envisager l’avenir de ce mouvement qui tente de s’unir pour ne pas mourir.
Samir Hadj Belgacem / Erwan Ruty