
Etats-Unis : à quand le retour du (vrai) plan Marshall pour les banlieues ? - RU

Depuis 1995 et la volonté de Jacques Chirac de proposer un Plan Marshall pour les banlieues, chaque nouveau président relance ce slogan mirobolant, et chaque mandature… accouche d’une souris. Comme en 1947, les américains seraient-ils les uniques dépositaires efficaces de ce concept dont se gargarisent les pouvoirs publics français depuis 15 ans ? Ce serait bien ironique, mais ni invraisemblable, ni injustifié.
Nommer M. Charles Rivkin ambassadeur américain en France était un symbole, tant on peut se demander si cet ancien producteur à Hollywood, qui sait y faire pour vendre le rêve américain, permettra de renouer avec cette pratique datant de l’après-guerre, dans laquelle les Etats-Unis avaient proposé un package « aide économique + accès des productions cinématographiques américaines en France ». La venue de Samuel Jackson à Bondy y ressemble, mais il faut dire que l’attente côté français est immense depuis la « divine surprise » de la succession d’Obama à George Bush, qui représentait rien moins que le Diable pour les banlieues françaises. Du coup, on se prend à regarder comme dessinant une véritable stratégie les soutiens (y compris financiers) à certaines associations travaillant sur la question des « minorités » qui peinent à obtenir l’aide d’institutions françaises (comme les Indivisibles, qui oeuvrent d’ailleurs avec des méthodes très show-biz, toutes américaines, avec un franc succès), les voyages d’études dits de « visiteurs internationaux » (de plus en plus axés vers les élites/minorités issues des quartiers, y compris de « leaders d’opinion » dont on ne peut soupçonner a priori une quelconque américanophilie, comme Eros Sana, ancien porte-parole de José Bové aux présidentielles, ou le groupe de rap bouc-émissaire du Ministère de l’Intérieur, La Rumeur), les sessions de formation à l’action politique en direction des minorités françaises (à Paris début juin)… Même si des polémistes malins pourraient trouver que certains de ces programmes font penser, toutes proportions gardées, aux visites que l’URSS organisait dans les années 20 pour faire découvrir aux intellectuels français les miracles du socialisme, tout cela trouve quand même un écho certain dans des quartiers guettés par le désespoir et à la recherche incessante d’un « Obama français ». Cet usage américain du soft power répond à une attente de bon nombre de jeunes qui se sentent l’envie de faire la nique à des institutions françaises qu’elles jugent responsables de leur situation (en partie à raison), et sont prêts à se jeter dans les bras grands ouverts de l’Oncle Sam, qui s’y connaît en brain drain. Des valeurs américaines en hausse depuis la chute de la maison Bush, des valeurs françaises en baisse depuis que les ministres de l’Intérieur successifs (et parfois futurs présidents) prennent à rebrousse-poil cette jeunesse en plein désarroi.
Et plus encore depuis que les plus hautes autorités du pays se permettent des dérapages racistes dignes des pires bistros de la France profonde ; et alors que pour le plus grand déshonneur de la République, les incriminés ne songent même pas à démissionner alors que la justice elle-même, c’est inédit, reconnaît leur culpabilité.
Et, last but not least, lorsque François Fillon reporte sine die de la réforme des Zones Urbaines Sensibles, taclant une nouvelle fois Fadela Amara, comment croire encore que les quartiers intéressent le moins du monde le gouvernement ? A l’approche des élections de 2012, le retour à un traitement purement sécuritaire de la question des banlieues n’est-il pas envisagé ? Dans ce contexte, comment s’étonner de l’engouement pro-américain ? Passager peut-être, mais tant que la France n’aura pas mieux à leur offrir que l’American Dream, on ne pourra s’étonner que nos jeunes cerveaux à nous aussi, qui ont besoin d’air et ne peuvent rouiller ad vitam au pied des murs gris des cités, se plaisent à fuir la « douce France », tout comme ils fuiraient un pays du Tiers-Monde qui n’arrive pas à se développer fraternellement. On aurait presque envie que les Etats-Unis fassent en France… ce qu’Hugo Chavez a proposé aux Etats-Unis (notamment suite à l’Ourgan Katrina ou à la hausse des prix du pétrole) : apporter une aide humanitaire aux quartiers en difficulté !
Erwan Ruty / Ressources Urbaines