
Discriminations : la Maison des Potes encore et toujours aux côtés des victimes

Depuis des années, d’abord à SOS Racisme dont il était le vice-président, et maintenant à la Maison des Potes dont il est le président, Samuel Thomas, harcèle les auteurs de discriminations : entreprises, boîtes de nuit, bailleurs sociaux, on en passe. Le 14 juin, il était l’un des organisateurs et ténors d’une journée dédiée à ces combats, au barreau de Paris. P&C y était. Morceaux choisis.
« Notre rôle est de permettre à des victimes qui se sentent isolées d’être soutenues alors qu’elles ont l’impression d’être seules et qu’elles rencontrent de grandes difficultés pour faire reconnaître des discriminations qu’elles ont subies, et encore plus pour les faire condamner ». Maître Patrigeon, avocat, cerne bien l’enjeu que ces rencontres veulent soulever : un enjeu militant, qui va donc bien au-delà de sa seule action de plaidoyer.
« Il y a déjà assez de noirs dans cette tour »
Il sait de quoi il parle : il a été l’un des artisans des procédures menées par la Fédération des Maisons des Potes (et leur maison mère, la Maison de l’Egalité, à Paris) contre des bailleurs comme ou Métropole Habitat à Saint-Etienne (en 2009), ou Logirep (en 2014). Contre ce dernier organisme, un récent arrêt reconnaît le « fichage ethnique »… mais pas « l’intention de discriminer » ! Un comble ! Mais un élément révèle la pensée dominante des magistrats, selon l’avocat : « On demande à des juges de condamner des comportements qu’ils ne perçoivent pas toujours comme des problèmes ». A fortiori lorsque le même bailleur (Logirep) assure, toujours selon maître Patrigeon, « ne pas définir ce qu’est la mixité sociale », qui est pourtant le critère dont il se réclame pour justifier le fichage, puis l’exclusion de certains publics (ici : une personne d’origine africaine s’est vue refuser un logement au prétexte qu’il y a « déjà assez de noirs dans cette tour » - assertion affirmée à monsieur Tieboyou à douze reprises !).
Infractions prétendument « non caractérisées »
Ce que la Maison de l’Egalité estime être « un détournement du sens de la loi » contre l’exclusion qui oblige les bailleurs à « mixer » les origines de leurs locataires. Où se pose donc la question de la lutte contre les discriminations, dans un contexte où "la société", croyant bien faire, appelle à la lutte contre l’homogénéisation du peuplement de certains quartiers populaires (alors que cette homogénéisation ne pose pas de problème dans d’autres quartiers… à majorité « blanche »). Un vrai dilemme.
Conclusion : « il faut changer les représentations, y compris chez les magistrats », juge l’un des participants. Avec pour point d’achoppement, pour cette victime qui témoigne dans le public, et se serait vue répondre, comme tant d'autres : « l’infraction n’est pas assez caractérisée » (alors qu’elle disposait de plusieurs témoins). Et un autre participant de surenchérir : « Il y a des effets de mode. Tant que l’opinion ne considère pas cette question comme centrale, la justice ne le fera pas non plus. Il faut donc porter cette question médiatiquement ». Une « lutte contre les préjugés » qui est justement le boulot mené par la fédération des Maisons des Potes.
Victoires devant les tribunaux…
A ce titre, l’action de la fédération est exemplaire : maître Zaanoun, avocate de la Maison des Potes, relève son action contre un supermarché Lidl de Senlis : 250 personnes discriminées, 90 devant les tribunaux, 10 victimes portent plainte finalement… et obtiennent des condamnations allant de 4 à 6 mois de sursis ; 10 000 euros d’amende, 120 000 euros de dommages et intérêts… (alors que les jugements passés s’en tenaient en général, selon le journal de la fédération, Pote à Pote, à « quelques centaines d’euros »). Motif de la discrimination, en l’occurrence : refus de recrutement de stagiaires « titulaires d’une carte de séjour vie privée et familiale ». Et maître Zaanoun d’insister : « un salarié, un videur par exemple, autant que son patron, peuvent être jugés responsables de discriminations ».
Mais souvent, victoires amères…
Autre victoire rapportée par Samuel Thomas : « Les Charbonnages de France, un établissement public, interdisait ses salariés non ressortissants de l’Union européenne de percevoir certaines primes à la retraite. Même les syndicats étaient d’accord ! … On a obtenu 40 000 euros par victime, pour dix d’entre elles ! 50 sont encore en procédure, sur 1600 ! » Et du coup de plaider pour l’extension des procédures de « class action » à la française, rendues possibles par une récente loi portée par Benoît Hamon (mais qui pour l’instant n’étend pas ces actions de groupe aux affaires liées aux discriminations). Pareil avec une procédure contre l’agence d’intérim Adecco : « 500 intérimaires victimes qui ont des problèmes de titres de séjour, c’est dur de les convaincre de se porter partie civile [dans une affaire de fichage « ethno-racial », ndlr] ! A Saint-Etienne, on a été rechercher 1000 victimes, on a été tracter dans toutes les boîtes aux lettres, on a été attaqué en justice pour diffamation (et acquitté !) 30 ont accepté quand même. Mais ce qu’ils obtiennent peut-il compenser la souffrance, les humiliations que leur font subir les procédures ? Parmi les trente, 20 ont quitté la salle tellement ils ont été insultés par les magistrats ! Seul une d’entre eux, qui a tenu, a obtenu 300 euros d’amende ! »
Un « pôle de lutte contre les discriminations » dans chaque parquet ?
Au final, Samuel Thomas martèle : « Il faut créer un pôle de lutte contre les discriminations vraiment actif dans chaque parquet, sur le modèle des pôles financiers ». Proposition contestée par Hélène Franco, ancienne secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature, au nom du risque de contrôle politique : « Ce pôle anti-discriminations serait une fausse bonne idée. On doit d’abord attendre d’avoir assez de recul sur les pôles financiers. Le pouvoir politique pourrait nommer des parquetiers dans la ligne de ce pouvoir… » Et de tempérer encore : « N’attendez pas d’effet dissuasif d’une peine, sauf quand il y a publicité, médiatisation et affichage d’une condamnation d’une entreprise. Sinon, les peines d’amende ne touchent pas les employés, même les DRH de chez Disney ! » Expérience vécue !
Un scepticisme que Mme Franco finira par appuyer par cette citation de Robert Badinter, ancien garde des Sceaux de François Mitterrand : « La France n’est pas le pays des Droits de l’homme, mais de la déclaration des Droits de l’homme »… une nuance que beaucoup de discriminés auront vécu dans leur chair.
NB : un dossier extrêmement complet du magazine Pote à Pote n°141/142, dédié à ces luttes recense des dizaines d’affaires en cours depuis parfois plus de dix ans, portées par la Maison des Potes. Edifiant mais impressionnant ! On a bien là affaire à la plus vaste entreprise de lutte contre les discriminations menée par une association française…