
Crowdfunding, un avenir pour des banlieues fauchées par la baisse des subventions ?

Le 06 mars, une soirée « crowdfunding » est organisée à Ivry (94) par Entrepreneur de banlieue, réseau social né en 2013. En période de vaches maigres pour les quartiers, où les plus dynamiques ne croient plus en l’ascension sociale par les associations, y a-t-il un avenir pour les entrepreneurs via le financement participatif ? Episode 1 : éléments de réponse avec Banlieues créatives.
Banlieues créatives : 10 000 euros, le compte est bon
P&C : Co-fondatrice de Banlieues créatives, peux-tu nous dire comment est né ce site ?
Anne Dhoquois : notre site, dont l’idée a été lancée en 2011, est une adaptation du livre du même nom [publié après les émeutes de 2005 pour donner une autre image des quartiers : recenser les bonnes pratiques et initiatives créatives, culturelles, sociales ou entrepreneuriales, ndlr].
« On a envie d’être nuancé »
P&C : Quel est le périmètre de votre travail ?
AD : Nous ne sommes pas exhaustifs : on travaille surtout dans les quartiers populaires en ZUS, majoritairement en Île-de-France, pour des questions de moyens liés à nos reportages (une équipe de quatre personnes !). Mais l’ambition est nécessaire, sur le fond comme sur l’aspect politique, quand je vois comment la presse relaie l’info sur les quartiers : on a envie d’être nuancé, d’être complexe et de diffuser l’info par le web et les réseaux sociaux. D’où la construction de la plateforme. Il y a aussi un forum des porteurs de projet, utilisé par les porteurs de projets eux-mêmes. Enfin, il y a une rubrique découverte sur des personnalités.
« C’est un boulot énorme, la viralité »
P&C : Vous avez été financé partiellement grâce au site de financement participatif Kiss kiss bank bank. Comment le travail s’est fait avec eux ?
AD : Le travail de préfiguration a été financé par l’Acsé et le ministère de la Culture et l’Acsé, mais réussir cette collecte permet de déclencher d’autres financements, comme ceux liés à la Région. Mais obtenir 10 000 euros via KKBB a accéléré le processus de réflexion sur la plateforme : tu fais de la communication gratuitement. Ca t’oblige à faire des scenarii, à réfléchir au contenu, à convaincre. Et puis c’est une super rampe de lancement, un an avant la création du site : tu commences déjà à intéresser les gens à ton projet. Mais c’est un boulot énorme, la viralité. 160 donateurs, une soirée de lancement… ça a validé un projet auprès des financeurs. Les sommes moyennes demandées à KKBB, c’est 5000 euros. Nous, c’était 10 000 et ça a marché. Réussir, c’est un message très positif qui est envoyé : il existe une communauté, on l’a structurée. Et puis il y a un côté « on se démerde par nous-mêmes ! »
« Il faut savoir bien compter ses forces »
P&C : D’après toi, ce mode de financement est-il valable pour d’autres projets issus des banlieues ?
AD : C’est à nouveau la question des réseaux qui compte : certains réseaux t’ouvrent des portes et te financent. Quand tu vois les projets de KKBB, tu as l’impression que c’est plus facile d’être photographe bobo parisien, et que tu vas facilement trouver des bobos parisiens qui vont apprécier ce que tu fais… [assertion contredite par Vincent Ricordeau, co-fondateur de KKBB dans notre entretien avec lui, à paraître dans « l’épisode 2 », ndlr]. Pour nous, c’était clair que la banlieue n’aiderait pas beaucoup notre projet, mais des gens non concernés directement par les banlieues ont quand même aidé. Mais ça reste quand même une expérience très exigence. Adrien [Aumont, autre co-fondateur de KKBB, ndlr] nous a énormément coaché, et la soirée de soutien organisée avec KKBB au Comptoir général [fin 2012, ndlr], qui nous a choisi parmi d’autres projets, a beaucoup aidé. Mais KKBB ne fait pas la campagne pour toi, même s’il te donne de la visibilité sur leur page par moments. C’est surtout ton réseau qui donne, puis ceux que tu ne connais pas. Il faut donc savoir bien compter ses forces. Si tu réussis, c’est une super rampe de lancement. C’est un plébiscite. Si tu foires, c’est une claque dans la gueule. C’est un jeu, une campagne. Tu dois convaincre les gens de mettre la main à la poche. Il faut bien réfléchir avant de se lancer. Mais c’est un signe fort qu’en terme de solidarité et d’indépendance, on ne peut pas tout attendre de l’Etat, exsangue.