
Clichy-Montfermeil : l’hyper-banlieue

Il y a des travers auxquels les médias ne résistent pas, y compris lorsqu’on s’appelle Le Monde. Depuis quelques années, le journal vespéral n’aura pas lésiné pour couvrir Clichy-Montfermeil, 2 communes à une quinzaine de kilomètres de Paris où les révoltes de l’automne 2005 ont démarré. Une ZUS télégénique avec sa copropriété du Chêne-Pointu à l’agonie, son lycée en convention avec Sciences Po, son nouveau commissariat, ses deux maires que tout sépare, ses militants associatifs déterminés, ses projets de rénovation urbaine et malgré tout son taux de pauvreté record et un début d’épidémie de tuberculose… Comme pour dire qu’à 15 kilomètres de Paris, on peut se retrouver nez à nez avec les misérables du siècle de Victor Hugo.
À la loupe des médias, ces deux villes n’ont rien de banal, elles incarnent à elles seules le malaise des banlieues, l’impossible politique de la ville, la montée des périls communautaire et sécuritaire et un certain fatalisme que ni la gauche, ni la droite ne sont en mesure de juguler. À l’image de ses deux maires de familles politiques différentes mais main dans la main pour faire face aux enjeux de ce territoire qu’aucune des intercommunalités limitrophes n’a voulu intégrer. L’un est à gauche mais ne s’est pas résigné là où son parti doute et l’autre est de droite, fervent catholique, prônant un rapprochement de son parti avec le FN. À relire certains articles de presse, Clichy-Montfermeil ressemble étrangement au village de Don Camillo et Peppone ! Une manière d’entretenir l’illusion que face aux défis posés par les banlieues, il n’y a ni solution de droite, ni solution de gauche.
C’est cette chromolithographie que les journalistes viennent chercher à Clichy-Montfermeil. Un territoire qui capte tous les éléments du malaise des banlieues et qui arrive à les restituer avec pédagogie, contrairement à ce lacis de situations et de nuances qui composent la réalité des quartiers populaires. On comprend aisément comment un jeune du coin, Abdel El Othmani, a développé autant de compétences pour dynamiter ce récit et s’attirer les haines les plus tenaces de certaines rédactions.
Clichy-Montfermeil est devenu le lieu unique par lequel les médias prennent le pouls des banlieues, au risque d’escamoter la variété des situations et de confiner le malaise à la seule périphérie parisienne. Si Le Monde n’est pas comptable de cet engouement, il n’a pas été en reste. Comme récemment où il a déroulé le tapis rouge au plan de communication de la dernière parution de l’Institut Montaigne ; un rapport commandé à Gilles Kepel sur… Clichy-Montfermeil ! Une analyse du rapport, une tribune de l’institut et même une vidéo auront été diffusées par le quotidien pour marteler le message : l’État bâtisseur ne suffit pas, il faut un retour à l’État social. A l’orée des prochaines élections présidentielles, même un think tank de droite se découvre des accents de gauche. Il est à déplorer le peu de recul sur ce rapport qui fait également suite à celui de 2004 intitulé « Les oubliés de l’égalité des chances ».
« L’égalité des chances » ou le nouveau crédo que la droite au gouvernement a utilisé pour réduire son action sociale dans les quartiers et privilégier les ajustements homéopathiques. C’est sous cette idéologie largement alimentée par l’Institut Montaigne que la lutte contre les discriminations va se transformer en politique de la diversité et en charte de bonne volonté dans les entreprises. C’est aussi sous ce vocable que les innovations dans le champ éducatif vont se circonscrire aux grandes écoles et à provoquer l’abandon de la carte scolaire au détriment des établissements en ZEP. C’est enfin et toujours sous ce couvert que la politique du béton va se déployer sans s’accompagner de véritable perspective sociale. Dans les banlieues tous subissent ces avatars. Dans les rédactions on feint d’oublier que les choix politiques d’hier font les situations sociales d’aujourd’hui.
Farid MEBARKI
Président de Presse & Cité.