Claude Dilain : « Il faut des députés des quartiers pour parler à ceux qui ne les connaissent pas »

Le 12-06-2012
Par Nadia Hathroubi-Safsaf

Aujourd’hui sénateur PS de la Seine-Saint-Denis, Claude Dilain a été maire de l’emblématique Clichy-sous-Bois pendant seize ans, tout en exerçant comme pédiatre en parallèle. Il regarde dorénavant ces territoires avec plus de recul, mais tente d’oeuvrer pour eux avec conviction.

Comment combler le fossé entre les politiques, les jeunes, les habitants des quartiers populaires ?

Il ne faudrait pas croire qu’il n’y a que dans les quartiers populaires qu’on se défie de la politique. Même le Maire, a moins la cote qu’avant ! Je crois que pour recombler ce fossé, il faut que chacun fasse un pas. Premièrement, je pense que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle : on peut plus faire de la politique comme on faisait avant. Les méthodes, les outils qu’on a appris, ne sont plus pertinents pour nos rapports avec la population, les médias. Et quand je parle de ça, je ne parle pas de l’utilisation des nouvelles technologies, de Facebook et Twitter. Ce n’est pas parce qu’on est sur Twitter, qu’on est moderne. On doit s’orienter davantage vers le dialogue (comme la démocratie participative) et la désacralisation de la chose politique. Il faut que les hommes politiques prennent le métro, qu’ils aillent acheter leur pain comme ça se fait dans les pays nordiques. Mais il y a aussi un pas à faire pour un certain nombre de jeunes de quartiers qui veulent tout, tout de suite. On ne peut pas avoir des responsabilités comme ça. Je pense que l’exercice de responsabilité publique exige une espèce de cursus et il faut savoir aussi être patient, écouter, apprendre en regardant les autres (les plus expérimentés, ndlr). Ce n’est pas une profession. Il faut franchir petit à petit, les différentes responsabilités. Il y a des jeunes militants, des jeunes élus qui s’étonnent au premier mandat de ne pas être maire-adjoint, de ne pas avoir d’indemnités…

Que pensez-vous de l’émergence de nouvelles personnalités politiques issues des quartiers ?

En 2005, il y avait un regroupement de vedettes pour inciter les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales, avec Ac le feu. Dans ma petite intervention que j’ai faite, j’ai dit : voter, ça ne suffit pas, il faut être candidat aussi. Faut aussi se mettre les mains dans le cambouis de temps en temps. Bien sûr qu’il a raison Mohamed Mechmache de se présenter (aux élections législatives, ndlr) ! Il y a la nécessite d’apprendre mais aussi de comprendre le « principe de réalité ». Tous les élus locaux viennent du milieu associatif. Il y a un saut qualitatif : quand on est dans le milieu associatif, on réclame. Tandis que quand on élu, on voit que c’est plus compliqué. J’en ai fait l’expérience avec les nombreux jeunes élus.

 

Est-ce que ca veut dire qu’il faut qu’il y ait des jeunes des quartiers populaires pour parler des quartiers populaires ?

Il faut des députes pour représenter les quartiers populaires. Pas pour parler aux jeunes des quartiers, mais pour parler à ceux qui ne connaissent pas ces quartiers. Et parce qu’il faut intégrer cette partie de la population dans l’élaboration de la loi. Il faut qu’il y ait une vision de la banlieue comme il est nécessaire qu’il y ait une vision de la ruralité, de la métropole. La France est l’addition de toutes ces visions. Ce n’est pas parce que je m’appelle Claude que je ne suis pas légitime pour parler d’un territoire où ça fait 63 ans que je vis, je s’y suis né (au Franc-Moisins, ndlr), et où je travaille. Je n’ai jamais quitté le département de la Seine-Saint-Denis. Mes enfants y ont été scolarisés. Je suis un pur produit de la Seine-Saint-Denis. Mais d’un côté, il ne peut pas y avoir que Claude Dilain pour représenter, il est important qu’il y ait des gens comme Mohamed Mechmache qui se lancent. Un député ou sénateur, il a pour mission de faire la loi pour la France, que la loi soit la plus juste possible. C’est donc là justement qu’il faut qu’il y ait de la diversité. La loi doit être le point d’équilibre entre différents points de vue.

 

Qu’est-ce que cela vous fait que Clichy-sous-Bois soit devenue un symbole ?

Ce qui s’est passé en 2005, je l’ai vécu dans les premières heures comme une catastrophe parce que c’était d’abord un drame humain. La perte de deux enfants dans ces conditions là est quelque chose de difficile. En même temps, notre réaction c’était de dire : puisque c’est comme ça autant parler de ce dont la société française ne veut pas entendre. J’avais un sentiment de gâchis par rapport à tout ce qu’on avait fait sur Clichy-sous-Bois ; on allait être stigmatisé. J’ai essayé de dire à mon équipe, positivons, pour que ces jeunes ne soient pas morts pour rien. Puisque tous les projecteurs étaient braqués sur Clichy, j’avais le devoir de parler et d’expliquer à des gens qui ne le savaient pas et qui avaient une vision très schématique ou pleine de clichés : voilà ce que c’est la banlieue. C’était une mission pour moi, je suis allé dans les médias avec l’envie de me battre, en disant regardez nous, qu’est-ce que vous faites de nous !

 

Comment parler des quartiers populaires sans stigmatiser mais sans nier les réelles difficultés ?

On est aussi obligé de parler de ce qui va mal. C’est la réalité ! Si on veut changer, améliorer les choses, il faut le dire. En même temps lorsqu’on parle des choses qui vont mal, on stigmatise et on aggrave. On est sans arrêt sur une espèce de ligne de crête en disant, il faut dénoncer et même temps marteler qu’il n’y a pas que ça. Je suis moins confronté à cela maintenant car je ne suis plus maire mais j’ai été confronté longtemps à ce genre de paradoxe, de contradiction dans l’expression. Quelques fois, je n’étais pas très content après coup de ce que j’avais pu dire ou faire. Par exemple, pour dénoncer la situation au Chêne Pointu, après avoir essayé de plaider cela institutionnellement pendant deux ans, j’ai vu tout le monde y compris à l’Elysée, on me disait « ah mon pauvre Monsieur, c’est bien triste ». Face à la paralysie, j’ai été obligé de faire une page dans le journal Le Monde. Là j’ai écrit, « j’ai honte d’être le représentant de la République ». Je l’ai fait sinon rien n’aurait bougé et même temps, j’avais bien conscience qu’en disant ça, je stigmatisais la ville, surtout que j’ai parlais de bidonville verticaux etc. C’est une équation difficile, qui pour moi, ce peut que ce régler au cas par cas et en faisant très attention à ce qu’on dit, quand on parle de ces quartiers en difficultés.

 

Est-ce que la villa Médicis à Clichy, ce n’est pas un peu déconnecté des attentes des habitants ?

Ils ont raison, si on faisait la villa Médicis à la place de, bien sur que ce serait décalé. Mais là ce n’est pas le cas. Les transports, on va les avoir, c’est parti, la piscine aussi. Les logements, on travaille dessus. Il y a des besoins primaires à satisfaire et ce n’est pas péjoratif de le dire. Bien entendu qu’il faut le faire. Cela renvoie à une discussion qu’on a même eu à l’intérieur de l’équipe municipale. Cela pose la question de comment perçoit-on la mission d’un élu local ? Je pense que l’homme n’est pas fait que pour manger, dormir. Ce n’est pas qu’un animal qui a besoin de travailler même si effectivement il doit travailler, manger et se loger dans de bonnes conditions, dignes, de ne pas mettre 2h pour aller à son bureau etc… Le rôle d’un élu, c’est d’obtenir, ces choses là. Je ne crois pas avoir été pris à défaut là dessus et je suis même assez fier de ce que j’ai accompli en 16ans. Quand je suis arrivé aux commandes de la ville, il n’y avait pas de crèche, de piscine, de commissariat. Mais une fois que j’ai fait ça, ma mission n’est pas terminée. Il reste la culture. L’humain est un être culturel, il a besoin aussi de cette dimension culturelle. Je trouverai cela scandaleux, qu’un progressiste comme moi qui se bat contre les inégalités sociales, économiques, ne se bat pas contre les inégalités culturelles. La Villa Médicis n’est pas qu’un symbole. On a vu à Bilbao (Espagne, ndlr), Lille, comment l’introduction d’un élément structurant culturel peut changer complètement l’image d’une ville. C’est aussi permettre à cette population d’avoir accès un peu mieux à la culture et en particulier une culture difficile d’accès, qui est la culture contemporaine… La villa Médicis ne sera pas un bunker enfermé sur lui-même mais au contraire un lieu ouvert. D’ailleurs, les habitants l’appellent la tour Médicis.

Vous aviez publié une lettre ouverte « quel plan pour les quartiers populaires ? » dans le journal du Dimanche et l’association Ville et Banlieues dont vous êtes membre vient de faire 120 propositions. Quelles sont les possibilités d’application ?

C’est d’actualité puisque je conseillais François Hollande sur ces questions là. La première chose, c’est qu’il y en a marre de ce qu’on a appelé les plans Marshall, puisqu’il y en a eu plusieurs, à chaque ministre. On a l’impression que pour régler ce problème là et votre question est comme ça aussi, il faut des mesures, une boite à outils. Non ! En amont de cela, il faut une volonté politique, c’est ce que j’ai essayé d’expliquer à François Hollande qui l’a bien redit à plusieurs reprises. La volonté politique c’est de dire que dans ce pays, compte tenu de son histoire, compte tenu de ce qui fait le vivre ensemble, de ce qui fait le ciment du contrat social qu’on passe entre nous, il y a une qu’une seule catégorie de citoyens, il n’y a qu’une seule République, il y a une égalité entre totale devant la République. Or cette dernière a abandonné un certain nombre de territoires, pas seulement les quartiers populaires d’ailleurs. La volonté politique, c’est de reconquérir ces territoires et leur redonner une place à part entière dans la République. Ca veut dire quoi ? Premièrement, cela veut dire égalité dans les services publics. C’est valable pour Clichy-sous-Bois qui n’a toujours pas de pôle emploi alors qu’elle a un taux record de chômeurs, et qui n’a pas d’agence de caisse d’allocations familiales alors que c’est la natalité la plus forte de la Seine-Saint-Denis mais c’est aussi valable pour les petits villages qui n’ont plus de médecins et de pharmaciens, de distributeurs de billet ou même peut-être bientôt le haut-débit. Deuxièmement, il faut aussi une égalité dans la reconnaissance, c'est-à-dire ne pas stigmatiser selon la religion. On est tous des citoyens. Troisièmement, l’égalité devant le potentiel. Pourquoi la République tolère à ce point une territorialisation de l’échec scolaire ? La République ne peut pas accepter que 150 000 de ses enfants sortent du système scolaire sous-qualifiés. Ce qui est déjà choquant de l’idée que je me fais de la République et si on regarde les chiffres, ils viennent majoritairement de certains territoires, c’est encore plus inacceptable ! C’est contraire à l’esprit de la République. Tout régler toutes ces inégalités en matière d’éducation, de justice, de sécurité, il ne faut non pas un ministère de la ville et encore moins un secrétariat d’Etat mais un ministre de l’égalité des territoires. Il ne faut pas un budget spécifique, il faut que chacun des budgets des grands ministères (régaliens, ndlr), redéployent les moyens et les politiques en faveur de ça. Ma seule mesure, c’est une politique qui a de l’équité pour faire de la légalité.

Propos recueillis par Nadia Hathroubi-Safsaf

 

 

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