Binationaux : s’engager d’un pays à l’autre « sans visa intellectuel »

Le 11-06-2012
Par xadmin

Ils sont Français. Originaires de Mauritanie, de Tunisie ou d’Algérie. Militants de la première heure, ils expriment leur engagement politique en France, comme dans leur pays d’origine, de différentes manières. Un point les rapproche : ils se conçoivent comme des passerelles entre leurs deux patries. Trois témoignages.

Des lunettes fines, le visage rond, Idrissa Diabira est un homme discret. Sans faire de vagues, il a mené sa barque, depuis la cité de l’abreuvoir  à Drancy (Seine-Saint-Denis) qui l’a vu naître, jusqu’aux couloirs du palais présidentiel de Dakar,alors qu’il officiait à la communication de la campagne du nouveau président sénégalais. Issue d’une famille mauritanienne, père éboueur et mère femme de ménage, il incarne le parcours sans faute de celui pour qui l’ascenseur social a fonctionné. Comme le reste de sa fratrie, composée de sept enfants devenus médecin, ingénieur ou juriste. Idrissa s’implique d’abord dans des associations de quartier, de migrants ou d’étudiants. Partout. Comme il peut. « J’avais la conviction que nous avions des combats à mener en banlieue, nous les enfants dits de la deuxième génération. Nous avions un autre destin que celui de l’échec scolaire et la galère. Ces combats, nous pouvions les gagner, à condition de savoir qui nous étions et d’où nous venions, puisque nos origines, nos familles, nos cultures, étaient pour nous autant d’armes pour réussir dans la vie. »

« Les émeutes de 2005 nous ont amené à exprimer un engagement politique plus fort »

Avec des amis, d’autres jeunes issus de la deuxième génération, il participe à la création du Forum des Jeunes aux Identités Multiples (FOJIM). Les émeutes de 2005 accélèreront son activisme politique. « En 2005, on a atteint un paroxysme dans les attaques de la part de la classe politique sur les jeunes de banlieue. Ce qui nous a appelé à exprimer un engagement politique plus fort. Des personnes avec qui j’ai cheminé, des militants associatifs, qui avaient un ancrage local, comme Ali Soumaré, m’ont amené à m’inscrire dans ce combat, comme une nécessité. » Il dirigera la campagne d'AliSoumaré lors des élections régionales de 2010. Il sera sa plume, et bien plus, alors que le même Ali Soumaré, « le petit jeune de Villiers », devra essuyer nombre d’attaques hors règles. « La campagne a conforté notre combat. Il a été attaqué par une certaine élite qui a concentré tous les préjugés que l’on peut avoir sur les jeunes de banlieue. Ce qui m’a amené, même si c’était un peu sur le tard, à avoir une approche partisane. C’est venu assez naturellement, même si je n’étais pas encarté PS. Je me sens proche d’une certaine gauche rocardienne. C’était aussi l’idée de couper court à ceux qui pensent, à tort, qu’il faut se couper de ses origines pour être mieux intégré. Celui qui incarne le mieux ce combat, c’est Ali Soumaré. »

« Quand on parle de territoire déstructuré, on peut aussi bien se retrouver dans une banlieue d’Île-de-France que dans un village malien »

Proche des siens tout en étant totalement impliqué dans le pays qui l’entoure, Idrissa s’est très tôt intéressé à la culture de ses parents. « Quand on parle de territoire déstructuré, on peut très bien se retrouver dans une banlieue d’Île-de-France que dans un village malien, observe-t-il. Depuis le milieu des années 90, j’ai toujours essayé de me rendre en Mauritanie ou dans la sous – région pour voir des parents, des amis. A la faveur d’actions d’ordre associatif, à l’initiative de jeunes ou en appui de migrants. La France a installé, début 2000, le co-développement, avec une nouvelle façon de faire, en associant les migrants. Même si nous n’étions pas dupes : il s’agissait aussi de mieux contrôler les flux migratoires. On m’a approché. » Il est nommé Consul Honoraire de France à Kayes, dans l’ouest du Mali. « Quand on est à la frontière, ni dans un camp, ni dans l’autre, c’est plus facile même si c’est un terrain glissant. J’avais mes recettes. Par exemple, quand on entendait mon nom, on me demandait d’où je venais, Diabira étant un nom très répandu dans la sous-région, je répondais : je suis un Diabira de Drancy ! »

Drancy, Kayes et le Palais de la Présidence sénégalaise

Une mission qu’il mènera durant trois ans. « C’était passionnant, même si très imparfait, souvent biaisé et instrumentalisé, mais je n’ai pas du tout été déçu. Nous avons mené énormément de projets à Kayes, se réjouit-il, avant de nuancer. ce n’était pas simple de mettre en place des projets, de les financer et de les pérenniser avec des deniers publics.» Idrissa juge alors que le développement de l’Afrique ne sera porté que par le secteur privé. Il fonde Interface Africa en 2009, avec des jeunes qui, comme lui, sont originaires du continent africain, et ont évolué en Europe et aux Etats-Unis, où ils ont obtenu diplômes et compétences. « Apporter quelque chose qui nous est propre, l’imaginer, le financer et le mettre en œuvre. C’est cette compétence que Macky Sall est venu chercher auprès de nous. » Le nouveau président du Sénégal aurait en effet fait appel à Interface pour l’aider concevoir son programme présidentiel et assurer sa communication à l’étranger. L’agence, basée au Mali, s’est déployée en Mauritanie, au Sénégal, et continue de s’étendre dans la sous - région. Une nouvelle activité qu’il inscrit dans une continuité avec son militantisme passé. « Ce n’est pas une rupture mais une continuité. Ce sont les mêmes ressorts qu’il faut activer. Les environnements sont très différents, bien entendu, il ne faut pas caricaturer, mais le fil conducteur est le même. Presque naturellement, on est devenu des traits d’union. »

 

Dounia ben Mohamed

 

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