
Banlieues d'Europe forme contre le racisme

Banlieues d'Europe travaille depuis près de 25 ans avec les populations « mises au ban », à travers des initiatives culturelles engagées. Fédérant un réseau conséquent de partenaires, cette association lyonnaise propose depuis 2006 des formations professionnelles sur la culture et les quartiers populaires. La dernière en date s'est tenue à la MJC des Tilleuls à Saint-Etienne les 16 et 17 octobre.
Dans la petite salle de réunion de la MJC des Tilleuls, les sept participantes écoutent attentivement la militante anti-raciste et co-fondatrice des « Indivisibles » Rokhaya Diallo. Le petit comité entame sa deuxième journée de formation intitulée « Racisme et xénophobie : mettre en mouvement l'imaginaire par l'action culturelle ».
France, Etats-Unis, femmes, SOS Racisme et communautarisme...
Rokhaya Diallo expose l'histoire des luttes anti-racistes, de SOS Racisme en passant par les Black Panthers jusqu'aux mouvements actuels, plus communautaires : « Le communautarisme est une réponse à SOS Racisme car la formule « Touche pas à mon pote » reste celle du « protecteur » et non de la victime. C'est le même principe que dans les groupes de défense des droits des femmes où il y a une majorité de femmes ; d'ailleurs c'est aussi la faute des hommes s'ils ne sont pas présents dans ces groupes. Aux Etats-Unis, les droits civiques des Noirs n'ont été portés que par des Noirs alors qu'en France les mouvements de défense des esclaves n'ont pas laissé les esclaves prendre la parole. » Pointant la banalité d'un racisme français qu'elle juge insidieux, la militante étaye ses propos par des exemples concrets comme cet article de 2012 « condescendant et raciste » paru dans Elle sur « la mode noire »1.
Les Indivisibles : imposer un autre débat
Dans cette ambiance plutôt cool, la salle intervient régulièrement, partage des interrogations et interpelle l'intervenante dont l'exposé suscite des questionnements. On questionne Rokhaya Diallo sur « Les indivisibles ». Elle explique volontiers les fondements du projet : « J'en avais marre de me faire insulter à la télé. Après les émeutes de 2005 ce sont les intellos blancs bourgeois qui parlaient des banlieues sans connaître. Seuls des jeunes de banlieue non politisés s'exprimaient. Il y avait eu la loi sur le voile en 2004 et je trouvais disproportionné qu'on en parle un jour sur deux à la télé. Il fallait trouver un moyen de produire un contre-discours. L'idée était d'instaurer le débat, de rendre visibles et d'analyser des propos qui sont banalisés. Quand on met ces propos les uns après les autres, on voit qu'il ne s'agit pas de dérapage mais d'une structure idéologique qui fait que tout le monde a des préjugés. Le plus important est d'en avoir conscience et de les déconstruire. Nous avons également créé les Y'a Bon Awards qui décernent chaque année un prix pour les propos les plus racistes. On utilise l'humour. » Rokhaya Diallo s'avère également critique sur la place des minorités dans les médias. Elle-même journaliste à RTL et ancienne chroniqueuse sur Canal+, elle n'hésite pas à déplorer le peu de femmes visibles et particulièrement les personnes noires. « La discrimination positive, je suis pour ! » répond-t-elle résolument à une participante.
Du racisme à l'identité
Durant la pause café, la discussion continue entre deux croissants. Les participantes expriment leur satisfaction concernant la formation organisée par Banlieues d'Europe. Bien qu'il soit trop tôt pour établir un bilan des retombée concrètes sur le terrain, elles estiment avoir beaucoup appris et déconstruit certains stéréotypes et comportements concernant le racisme. L'atelier d'écriture proposé par l'écrivain Ricardo Montserra semble avoir bousculé leur ressenti en les faisant travailler sur la notion d'identité à travers leur propre histoire généalogique. « Il nous a demandé de nous questionner sur nos origines et sur les schémas dont on hérite. C'est un travail sur la parole et le non-dit », précise Marjorie Fromentin, administratrice de Banlieues d'Europe qui a également participé à l'atelier. L'écrivain d'origine chilienne, marqué par la dictature de Pinochet, a voulu comprendre comment et pourquoi se met en place le processus de haine et de xénophobie chez les jeunes néo-fascistes. Il s'est donc immergé, à découvert, dans le quotidien de jeunes nazis du nord de la France qu'il a suivis et interviewés. De cette expérience est née une pièce de théâtre intitulée « Naze » et la constatation que ces jeunes, qui évoluaient souvent dans un contexte familial compliqué, ne connaissaient pas leur histoire ni leurs origines. L'atelier d'écriture de Ricardo Montserra procède du même questionnement sur la notion d'identité. En prenant la problématique du racisme à l'envers, à savoir ce qui amène une personne à devenir raciste, l'écrivain questionne l'histoire individuelle et familiale à la manière d'un psychogénéalogiste. Et son intervention ne semble pas laisser pas indifférent...
Qui veut se former contre le racisme ?
Avant de poursuivre la matinée avec Wim Vogelaere qui intervient sur « La mobilisation des jeunes en Europe contre les discours de haine sur le web », les participantes échangent autour de leurs différentes expériences au sein de leurs structures. Les profils sont multiples : responsable régionale d'un service culturel, issue du milieu associatif ou encore étudiante en sciences politiques en recherche d'emploi... Un élu municipal, seul homme du groupe est malheureusement absent pour cette deuxième journée de formation. La plupart se sont inscrites d'abord à titre personnel bien que la formation rentre dans le cadre de la formation professionnelle continue. Les structures jugent-elles non nécessaires d'offrir à leurs collaborateurs une formation sur le racisme et la xénophobie ? Marjorie Fromentin compare : « L'année dernière, nous avons proposé le même module de formation pour la Fédération des MJC en Rhône-Alpes et nous avons eu une centaine de personnes. La demande de formation venait des employés des MJC en Rhône-Alpes qui sont directement confrontés au problème du racisme et de la xénophobie et avaient besoin de clés. Dans le quartier Saint-Jean à Lyon, repère de groupes d'extrême-droite, la MJC du Vieux Lyon a été la cible de ces groupes. »
L'association Banlieue d'Europe, composée d'une petite équipe dynamique, souhaite néanmoins continuer à proposer ce type de formation. Et la prochaine cession a de fortes chance d'être proposée dans une ville moins excentrée que Saint-Etienne qui n'est pourtant qu'à 60 km de Lyon...